Bordeaux - Alain Giresse : “On a fait perdre à ce club ses racines”

12/05 - 11:13 | Il y a 2 ans
Invité du Talk lundi soir sur WebGirondins, Alain Giresse qui est la personnalité emblématique du club Marine et Blanc s'est livré dans un entretien de 40 minutes.
Bordeaux - Alain Giresse : “On a fait perdre à ce club ses racines”

© Iconsport

Il a répondu aux questions des animateurs et consultants du Talk, Samuel Vaslin, Jonathan D'Agostino, Djino Forté et Nicolas Pietrelli.


"Je suis désabusé"


 

WebGirondins : bonsoir Alain, comment allez-vous ?

Alain Giresse : Ça va bien. Personnellement ça va.

Quels sont votre réaction et votre sentiment après la défaite à Angers qui condamne quasiment Bordeaux à la descente en Ligue 2 ?

D'abord, j'ai du mal à dire que ça condamne définitivement Bordeaux à la Ligue 2. Ce n'est pas facile à dire quand on est supporter, quand on est imprégné de Marine et Blanc. On n'a pas envie de le prendre en considération. C'est un sentiment bizarre, je l'avais depuis le match de Nice où j'étais au stade. Je me disais qu’on est là tous en train d'espérer et d'attendre que les choses se déroulent comme on l'espère. Je suis désabusé, car il n'y a pas de ressort, d'attitude et de réaction. C'est très difficile de traduire ce que l'on vit. On voit de match en match que ça s'enfonce un peu plus et on craint le pire."

Vous avez été joueur, entraîneur, vous êtes sélectionneur du Kosovo, comment expliquer le manque de réaction, de fierté, et même de dignité des joueurs ?

La fierté , la dignité, cela fait aussi partie du bagage mental d'un joueur. Surtout selon les circonstances, ici c'est un club qui joue pour sa survie en première division. J'ai connu ça avec les Girondins avant qu'ils soient ce qu’ils sont devenus. Nous n'étions pas une équipe brillante, mais valeureuse. Là, on n’arrive même pas à voir cette attitude de guerrier. Un engagement au-delà de ce qui est autorisé et qui démontre cette volonté de s'en sortir, et de ne pas mourir avec le club. Est-ce qu'ils sont à ce point bloqués psychologiquement pour être aussi amorphes ? Ils n'ont rien à perdre et tout a gagner.


"Il faut que toutes les parties du club soient en osmose"



Avez-vous déjà connu comme joueur et entraîneur ce type de situation ? Comment l’expliquer ?

Oui, mon parcours dans le football m’a fait connaître tout type de situation. On n'arrive pas à trouver ce qui fait qu’on déclenche chez les joueurs une réaction, qui fait qu’il y a un sentiment de survie. L’aspect mental joue un rôle important. Quand on est petit bras, comme on le dit au tennis, on est en dedans, en réserve, on ne se lâche pas.

Sur certains matchs les Girondins mènent de deux buts d'écart avec un certain confort. Mais même ça, cela n'a pas donné de sérénité à leurs matchs.

Peut-on comparer en gardant de la mesure, cette situation à ce que vous avez vécu comme entraîneur du PSG (NDLR 1998) ? 

Ce n’est pas tout à fait pareil. Il n’y avait pas un groupe unifié, il y avait en coulisses des oppositions entre les anciens dirigeants et les nouveaux, ce qui a créé des répercussions sur le groupe. Finalement, la performance se dilapide, ça glisse, et vous n’avez aucun moyen de freiner cette descente comme cela se produit avec les Girondins.

Quand dans le club ça ne fonctionne pas correctement au niveau de ses structures, il y a des répercussions sur le sportif n'est-ce pas ?

C’est tout un ensemble. L’équipe première est l'élément le plus important et démontre que le club fonctionne bien, que les résultats sont là. C’est tout un ensemble, au-delà de l'équipe et de la partie sportive, il faut que toutes les parties du club soient en osmose. Les joueurs doivent se sentir dans un contexte qui leur permette d’exprimer ce que l’on attend d’eux, c’est-à-dire d’être performant et avoir des résultats.


"Ils ont complètement dégradé l’image du club"


 

On a le sentiment que le club n’a pas bien été appréhendé par le propriétaire actuel. On a l'impression d'être dans une histoire qui s’étire avec l’ancien propriétaire et que l’actuel n’a rien fait pour changer les choses. Qu’en pensez-vous ?

Vous avez raison de dire que ce club a été dégradé par la venue des Américains. On se posera toujours la question de pourquoi ils sont venus prendre un club comme les Girondins, surtout quand on voit ce qu’ils en ont fait.

Ils ont laissé un héritage catastrophique à tout point de vue, sur le plan financier, mais également à l'image des Girondins de Bordeaux. Ils ont complètement dégradé l’image du club, le positionnement des Girondins dans la ville, dans la région, la proximité que le club pouvait avoir avec son environnement, sa sphère avec les supporters. Car ils n'ont pas maîtrisé ce que sont, et ce que doivent être les Girondins.

Derrière, le président Lopez a pris le club tel qu’il l'a trouvé. Effectivement, il a mis en place une organisation sportive qui ne correspondait pas à ce que réclamait d’abord la première division. Avec un entraîneur comme Petkovic qui était un peu déphasé par rapport à un championnat national. Il est arrivé d’une sélection, je pense qu’il ne connaissait pas le football français, les joueurs français, et l’ambiance du football en France. C’est mal parti.

Ensuite, on s'aperçoit qu'on n'avait peut-être pas la possibilité de prendre d'autres types de joueurs. Mais ce sont des joueurs qui étaient là aussi un petit peu en retrait par rapport à ce qu'on attend pour accrocher le milieu de tableau de Ligue 1. Quand vous êtes confrontés à vouloir à tout prix des résultats, on oublie que le club a une identité, a une façon de fonctionner, a sa spécificité. On a du mal à retrouver ce que sont les Girondins et la façon dont ils ont toujours fonctionné.

Vous savez toujours, on détruit plus vite que l’on construit et avec l’héritage des Américains, on en est là, actuellement. Je le vois quand je côtoie les personnes qui me disent mais que sont devenus les Girondins ? Je subis aussi ce genre de remarque et ce n’est pas ce qui nous fait le plus plaisir, et le plus agréable à entendre.

Est-ce que l'identité du club des Girondins est aussi sa formation régionale ?

Ça en fait partie, il n'y a pas que ça. Ce n’est pas toujours facile de sortir des joueurs de très haut niveau de sa propre région. Il y a une liste de joueurs importants qui sont sortis de la région Nouvelle-Aquitaine. Mais c’est aussi comment ce club se représente et l’attrait qu’il peut avoir.

Avant c’était un trophée d’avoir ce maillot (NDLR Des Girondins) sur les épaules. Aujourd'hui cela a été un peu délaissé. On a fait perdre à ce club ses racines. Un club c’est d’une équipe UNE jusqu’en bas. C’est une pyramide avec la formation, les jeunes qui ont le désir et l'envie de réussir dans le club de la région.

Le club a subi la situation en équipe une et la formation aussi. Vous ne pouvez pas faire fonctionner le club sans un état de sérénité. Quand vous êtes morcelé d'un côté et de l’autre le lien ne peut pas exister. Il n’y a plus cette unité. Je me souviens de l’esprit Girondins du président Bez qui voulait dire beaucoup de choses.


"Un joueur doit se sentir dans un cadre de sérénité et être concentré et à l'aise sur ce qu’il doit faire"



Comment expliquer cette descente infernale depuis 3 saisons ?

C’est la démonstration que le mal est très profond. Pour infléchir cette courbe, cette tendance négative c’est très compliqué. On a le même type de match et le même type de résultats avec des joueurs totalement différents.

C’est un ensemble. Un joueur doit se sentir dans un cadre de sérénité et être concentré et à l'aise sur ce qu’il doit faire. Ces joueurs sont pris par cette dynamique négative qui les emporte. Ce sont les premiers acteurs et ils sont incapables d’inverser cette tendance. C’est presque inquiétant d’en arriver à ce genre de situation et d’attitude.

Quelle est la solution ?

Quand cette situation sportive arrive, il faut repartir sur des bases saines. Il faut un changement d’attitude, remettre une dynamique avec des changements de comportement et de motivation avec des joueurs sains qui sont capables d’apporter ce que l’on attend pour relancer l’équipe dans une compétition difficile si c’est en Ligue 2. Ils seront attendus. En 1991, les Girondins sont descendus et il y a eu un aller-retour car il y a eu une mobilisation. Les joueurs sont sensibles à ça, et ils se rendent compte qu’autour d'eux ça pousse dans le bon sens, ils prennent le relai. Ce sont eux qui apporteront la touche finale. Il faut un cadre clair, net et précis avec de bonnes fondations.


"Ce que je crains avec tous ces fonds d’investissement qu'ils ne se soucient pas du tout de ce que le club est, c'est qu’on perde l’identité du club"


 

Est-ce qu'une nouvelle génération de joueurs qui ont porté ce maillot au scapulaire, qui savent ce que c’est l'esprit Girondins doivent s'investir au club ? On pense au Lizarazu, Micoud, Planus, Dugarry … qu'aimeriez-vous leur dire ?

C’est très important pour réhabiliter le club. Cela dépend des fonctions qui peuvent être prises par ces joueurs si le club et eux le désirent. Il faut relancer tout autour des joueurs pour mobiliser.

Pour cela, il faut connaître ce club. Ancien joueur, c’est un statut, ce n’est pas une fonction. Je parle avec tous ces anciens joueurs que vous avez cités. Ma génération est large. J’ai plusieurs générations dans ma carrière, j’ai toute une histoire jusqu’à maintenant. Je m'étais proposé d'être coordinateur pour tout cela. Cela ne peut faire que du bien au club. Les gens ont envie de ça. Ce serait une bonne chose.

Est-ce qu’un comité d'ancien joueur pourrait siéger au club et être consulté plusieurs fois par an à titre consultatif ? Il pourrait être garant de l’image et de l’esprit Girondins. C'est une position des socios de WebGirondins TV, qu'en pensez-vous ?

Tout est réalisable. Je ne pense pas que cela a déjà été fait aux Girondins. En Allemagne c’est le cas. Ça démontre que le club est toujours en lien avec son histoire, son vécu, son passé. En France on a du mal à mettre ça en place. Je ne sais pas pourquoi.

Par exemple, quand le logo a changé l’année dernière, cela aurait été l'occasion de demander ce qu’on en pense. Le côté consultatif peut entrer en ligne de compte. Dans d’autres clubs il y a des ambassadeurs. De plus, il y a des joueurs marquants sur le plan national et international aux Girondins pour le faire.

Ce que je crains avec tous ces fonds d’investissement qui ne se soucient pas du tout de ce que le club est, c'est qu’on perde l’identité du club. Alors que les Anglais sont forts, ils maintiennent l'histoire de leurs clubs. On devrait s’en inspirer pour ce que vous proposez.

Enfin il y a l'exemple de Lyon, où Bernard Lacombe a longtemps été le conseiller de Jean-Michel Aulas. Outre les compétences, ces gens ont la fibre régionale.


"Je ne veux pas abandonner l’espoir"


 

On voit que Jaroslav Plasil, ancien joueur, est dans le staff. On n’a pas l’impression qu’il remplit ce rôle d’ancien joueur, de garant de l’identité.

Plasil est adjoint. Ce n’est pas une position facile. Car c’est toujours en dernier ressort l'entraîneur qui décide. Plasil a un rôle actif d’entraîneur adjoint. Il n’est pas autour du club pour apporter son vécu. Il peut dire ce qu’il veut au coach, mais ce sera toujours l'entraîneur qui validera. Ce sont beaucoup de choses qui sont à repenser.

Vous avez connu deux montées avec Toulouse de D2 à D1 (1995 et 1999), comment avez-vous fait ?

On a fait abstraction de tout. Il n’y avait pas les lourds problèmes qu’il y a ici (NDLR aux Girondins). Sur le plan sportif, c’est de remettre tout à plat avec les joueurs, de recréer un état d’esprit et d’avoir une exigence avec les joueurs. Leur réclamer beaucoup pour qu'ils aient leur propre exigence. Les joueurs qui ne voulaient pas rentrer dans la dynamique on les mettait de côté. J’ai fait deux montées avec le TFC, on y est arrivé comme ça. Il faut un mécanisme porteur de résultats.

Que peut-on souhaiter à nos Girondins ?

Je suis désabusé, et je ne veux pas abandonner l’espoir. Quand je suis seul et que je pense à tout ça, j’ai du mal à comprendre là où on en est. Je ne sais pas quoi dire de plus car on a tout dit. Le Marine et Blanc restera toujours en D2 ou ailleurs. Je me dis : "ne raisonne pas comme ça, soit utile". Je veux bien être utile. Je me parle à moi-même. Avec Marius on se regardait au stade, on souffrait … on a cette envie d’aider.

 

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