Interview - Daniel Marques : "Les Girondines partent droit dans le mur de la D2"

01/02 - 15:47 | Il y a 3 mois
Entretien avec le journaliste spécialisé dans le football féminin Daniel Marques. Il livre son œil aguerri sur la D1 Arkema et la situation de la section féminine des Girondins de Bordeaux actuellement dernière de son championnat. Entretien à lire et à écouter en podcast avant le match décisif face à Guingamp ce samedi à 14h30 au Stade Sainte-Germaine du Bouscat.
Interview - Daniel Marques : "Les Girondines partent droit dans le mur de la D2"

© Iconsport

WebGirondins : Bonjour, Daniel, peux-tu te présenter pour les lecteurs ?

Daniel Marques : Bonjour, c'est Daniel Marques, journaliste et commentateur pour divers médias, mais principalement FootoFéminin qui est un site spécialisé sur le football féminin et Canal+, diffuseur de la D1 Arkema.

Tu es donc journaliste spécialisé sur le foot féminin. Comment juges-tu la D1 Arkema cette saison ?

On a une saison qui est peut-être un peu plus vivante que d'autres, notamment sur la course en haut de tableau. C'était ce qui était voulu avec cette nouvelle course au play-off, notamment par rapport à la quatrième place. C'est justement ce qu'on voit. Comme on n'a pas vraiment de course au titre, et que tout se décidera sur deux matchs pivots à la fin, c'est moins essentiel de voir le leader loin devant. Je trouve que pour une fois, on a une vraie course à l'arrière, entre Montpellier, Reims, Fleury.

Pareil pour le maintien, on a une grosse densité pour savoir qui va se maintenir, même s'il y a comme souvent une cassure entre le bloc du haut et le bloc du bas au niveau de la sixième place. Je trouve qu'on a une D1 assez vivante. On a eu de bonnes surprises et des choses assez intéressantes. On voit que les locomotives sont toujours présentes avec l'OL et le PSG qui sont encore en tête.

 

"C'est toujours difficile d'aller rivaliser quand vous avez le leader qui pioche les meilleures joueuses chez les autres"

 

Comment peut-on expliquer qu'aucune équipe n'arrive à rivaliser avec le PSG et l'OL chaque saison ?

Il y a divers facteurs. Il y a déjà le temps d'avance qu'elles ont pris sur d'autres, évidemment. Je pense notamment à l'OL et même au PSG dans une moindre mesure. Une avance comme celle-ci ne se rattrape pas en un claquement de doigts. Sachant que cette saison, entre les deux locomotives, il y a le Paris FC qui tente de s'accrocher. Même si sur les confrontations directes, ça n'a pas tourné en leur faveur. Mais dans le jeu et sur les deux matchs, à chaque fois, ça a été de courtes défaites. On voit qu'il y a moyen de se rapprocher.

De plus, c’est difficile de rivaliser quand on voit la pléthore de stars du côté lyonnais. De plus, ils se sont renforcés cet été (Diany, Dumornay). Ils vont chercher les tops joueurs du championnat pour rester toujours un cran devant tout le monde. C'est toujours difficile d'aller rivaliser quand vous avez le leader qui pioche les meilleures joueuses chez les autres.

On voit que le Paris FC, avec une politique de billetterie innovante, va enregistrer plus de 10 000 spectateurs pour son match de Ligue des Champions. Le foot féminin peut séduire en France. Qu'est-ce que ça t'inspire ?

C'est plus sur la politique de communication que sur la politique sportive purement de place. Puisque sur la Ligue des Championnes, la politique de la place gratuite n'est pas valable. C'est uniquement sur la D1. Sur les matchs de Ligue des Championnes, ce sont des places payantes. Auparavant, face au Real Madrid, ils font 10 600 spectateurs, dont 5 000, 6 000 invitations. Pour l'instant face à Chelsea, on parle de 10 000 places payantes (13 274 secteurs étaient présents ce mardi, NDLR). Donc là, ça serait une pure réussite en termes de public, et de communication. C'est bien sûr possible d'attirer, tout est questions de volonté, et de réussir à communiquer dessus.

Il y a une politique de communication forte à mettre en place, comme le Paris FC l'a fait. Ils ont fait avec les joueuses des vidéos promotionnelles pour se mettre en avant avec un petit peu d'humour afin d’attirer au maximum. Par un relais dans les médias forts, en enchaînant les médias avec des joueuses pour vendre le match, vendre l'enjeu. Là, en plus, ils sont portés par un contexte où c'est Chelsea, un gros adversaire, avec en plus la possibilité de se qualifier et d'encore continuer le parcours historique.

Évidemment, ce qui est toujours désolant, c'est que ça reste toujours un peu des épiphénomènes . Il y a eu le match contre le Real, celui-là. Après, on va revenir des fois sur les matchs de D1 où là, il n’y aura peut-être même pas 500 spectateurs.

C'est toujours le problème, ce n'est pas tant la question d'attirer, c'est la question de réussir à fidéliser. C'est une question qui s'est toujours posée pour tous les clubs de D1. Il y a une grosse marge de progrès en D1 Arkema sur ce point.

"Il y a un sentiment de gâchis qui prédomine aux Girondins"

 

Quel regard portes-tu sur l'évolution de l'équipe féminine des Girondins de Bordeaux cette saison ?

Je ne sais pas comment le vivent les supporters. Il y a un sentiment de gâchis qui prédomine. On est passé d'une équipe qui est montée, qui avait au début juste l'ambition de se maintenir, qui petit à petit s'est structurée, pour monter jusqu'à aller jouer la troisième place, qui venait se frotter à Lyon et au Paris Saint-Germain sur les prestations directes, à une équipe qui est retombée au fin fond du championnat avec des ambitions qui ne sont plus là. Ça se voit dans l'investissement qui est mis dans l'équipe, ça se voit dans l'investissement qui est mis dans le mercato, ça se voit dans l'investissement qui est mis dans l'infrastructure.

Là où c'est un peu désolant, c'est qu'on n'a pas la sensation que l'équipe féminine ait la volonté de quoi que ce soit cette saison. Peut-être que l'an dernier encore, on faisait miroir, il y avait encore des joueurs aux cadres fortes. Il en reste encore quelques-unes, mais trop peu. Ça se voit par le classement tout d'abord, par les résultats. C'est un peu le sentiment de désolation quand on est supporter bordelais, de voir son équipe être passée d'un top équipe de D1, capable de jouer la Coupe d'Europe, à une équipe de fond de tableau qui n'arrive même plus à prendre les points. Elle est obligée d'évoluer avec un 11-type qui a une moyenne d'âge basse… mais se maintenir avec une défense qui a entre 18 et 19 ans de moyenne d'âge, c'est quasiment mission impossible.

On peut avoir un centre de formation talentueux, mais se reposer uniquement dessus et ne faire aucun investissement, ou alors rester très léger là-dessus, forcément, on finit par le payer sportivement.

On sent que la section féminine, presque à l'image du club au global, est un peu laissée à l'abandon par rapport à il y a quelques années.

"Avoir une défense aussi jeune, avec aussi peu de joueuses d'expérience, c'est presque kamikaze"

 

Est-ce que ça te surprend, cette évolution ?

Ça dépend d'où on le regarde. L’an dernier, on commençait à sentir qu'il n'y avait plus un investissement aussi massif, que le club en lui-même au global était en train de partir dans la mauvaise direction. Donc cette saison, ça se confirme, ils sont en train de directement partir dans le mur et vers la D2 féminine. Ce n'est pas une surprise. Après, on pouvait peut-être espérer un sursaut, et le fait que le centre de formation pourrait le sauver. Mais on voit bien cette saison que non. Ouand bien même il peut y avoir des jeunes talentueuses et assez intéressantes, même dans celles qui ont été recrutées ces dernières années, je pense, par exemple dans les jeunes à Hilary Diaz, à un moment, c'est trop peu. C'est trop jeune pour se maintenir. En face, on a des équipes aguerries, on a des équipes avec des joueuses d'expérience forte, je pense à Guingamp, je pense à Saint-Étienne, même Lille dans une grande mesure.

Le centre de formation bordelais, qui dans sa grande partie, a commencé à jouer en D1 l'an dernier n'a pas forcément l'expérience de ce genre de matchs et de saisons, où il faut lutter point par point. Il faut aller chercher les matchs en s'arrachant, et on voit très bien que dans les confrontations directes, ça a coûté extrêmement cher.

Qu'est-ce qu'il manque pour que l'équipe puisse remonter au classement sur cette deuxième partie de saison ?

Il faudrait se renforcer en conséquence. Pour moi, l'effectif, il est trop court notamment sur la défense. Je maintiens qu'avoir une défense aussi jeune, avec aussi peu de joueuses d'expérience, c'est presque kamikaze. Il faut savoir aller arracher des victoires, des nuls, chose que Bordeaux a trop peu su faire dans les confrontations directes. Il y a trop de matchs où tu partais dans le bon sens, tu lâches et tu finis par te prendre une gifle. Bordeaux a un besoin urgent de points.

Bordeaux a recruté Laura Bourgouin, 31 ans, connais-tu un petit peu cette joueuse ?

Ça peut être un apport intéressant, mais j'ai presque envie de dire que c'est 6 mois de perdus pour Bordeaux, puisqu'elle aurait pu déjà signer l'été dernier, mais ça avait capoté pour diverses raisons, notamment le côté bordelais. C'est forcément un apport bienvenu offensivement qui a beaucoup de saisons derrière elle, qui était une joueuse que j'appréciais beaucoup. Après, elle toute seule ne pourra pas faire des miracles, ça apporte une certaine expérience dans la ligne du milieu et de l’attaque.

Mais j'ai peur que quand même au global, si Bordeaux ne reste que sur ça en termes de recrutement et d'arrivée, ça restera trop juste, même si, elle a l'expérience de ces matchs-là avec Soyaux. en effet, elle pourra l'apporter aux autres joueuses encore plus dans un groupe bordelais qui est, je rappelle, extrêmement jeune.

"Je reste quand même assez pessimiste sur un hypothétique maintien de Bordeaux"

Selon toi, l'entraîneur de l’équipe Patrice Lair va-t-il réussir à maintenir Bordeaux en D1 Arkema ?

Je lui souhaite d'y arriver, mais à l'instant T, quand je vois les prestations, la dynamique, la volonté en face, puisque le mercato d'hiver permet aussi de voir qui a vraiment fait les bons choix et qui prend vraiment des risques. Je n'ai pas un seul signe qui m'encourage à dire que potentiellement les Girondins peuvent le faire. Elles peuvent espérer sur les matchs à confrontation directe, il est arrivé que ça soit serré, il y a encore moyen au classement. Mais en termes de dynamique, Saint-Étienne m'a paru plus consistant dans les confrontations directes. Guingamp arrive avec beaucoup plus d'expérience du maintien.

Je vois s'installer une course à trois, peut-être que j'aurais tort, entre Dijon-Lille et Bordeaux, sachant qu'il y a deux sièges. Dijon m'apparaît toujours un peu faible, c'est une équipe qui a des intentions, mais qui reste quand même très tendre et qui a une tendance à prendre beaucoup de buts, c'est une des pires défenses cette saison. Lille a montré que même s'il y avait de bonnes intentions au début, défensivement, ça ne cesse de craquer encore plus depuis la reprise. Sur le mercato, ils ont fait le choix d'aller chercher Amandine Henry en mettant un gros salaire sur la table, plutôt que de potentiellement faire aller trois joueuses à salaire moindre. Très clairement, ça n'a pas payé, et vu qu'elle a pris un carton rouge, même s'ils ont fait appel, il y a de fortes chances qu'en plus le pari soit perdu. Donc à ce jeu-là, Bordeaux peut peut-être réussir à passer devant les deux. Mais à l'instant T je reste quand même assez pessimiste sur un hypothétique maintien de Bordeaux.

"en cas de relégation en D2, qu'adviendra-t-il des Girondines et où situeront-elles en D2 ?"

Souhaites-tu ajouter un dernier mot pour ceux qui nous lisent ?

Même si ce que j'ai dit n'est que mon avis et rien d'autre, sur cette saison-là, j'ai forcément une pensée pour les supporters des Girondines qui ont vu, comme je l'ai dit un peu plus haut, leur équipe devenir une des équipes majeures de D1 Arkema et du foot féminin français, et qui sont en train de voir leur club partir à l'abandon avec une section féminine qui est aussi en train de partir à l'abandon. On est encore en train de parler de maintien en D1, mais en cas de relégation en D2, qu'adviendra-t-il des Girondines et où situeront-elles en D2 ? Je pense qu'il y a des raisons, si on en reste comme ça, d'être pessimiste aussi. Donc là-dessus, j'ai une grosse pensée pour eux, une grosse force pour eux. Ça me fait un peu penser à des étoiles filantes qu'on a pu voir en D1. Je pense par exemple à l'OM qui, lors de la première saison, est quatrième, puis derrière il y a totalement un manque d'investissement. L'équipe est laissée à l'abandon au bout de deux ou trois saisons. C'est toujours navrant de voir ces trajectoires-là qui, malheureusement, sont plus fréquentes qu'on ne le pense en foot féminin.

Potentiellement, on peut espérer par la vente du club ou l’arrivée de nouveaux investisseurs que cette dynamique puisse s'inverser et que les Girondines puissent un jour revenir à leur niveau.

N.P

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