Claude Bez, le 13eme homme : Un portrait complexe réussi avec brio

28/05 - 09:00 | Il y a 9 ans

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Le documentaire sur l’emblématique président des Girondins de Bordeaux, Claude Bez, fait voyager le spectateur au coeur du Bordeaux de la fin des années 70 et des années 80. 52 minutes de film nous rapprochent d’un personnage complexe mais passionnant. 

« Je tape dans la main, et je laisse 15 jours avant de signer le contrat, pour voir qui sont les traitres ». La citation est de Claude Bez et issue d’une interview après le départ d’Alain Giresse à Marseille avec qui il retissera le lien affectif quelques années plus tard. Pour qui n’a pas connu l’époque dorée girondine des années 80 et son truculent président, ou pour ceux qui l’ont côtoyé ou tout simplement connu en tant que patron de leur équipe de coeur, le documentaire de Laurent Tournebise et Laurent Pédebernard co-produit par Mara Films, les Films du Mahana et France Télévision est un tour de magie. L’immersion est totale via une façon de filmer intimiste qui donne aux interventions des interviewés un réel cachet. Un cachet d’époque renforcé par les images d’archives, extraits d’interviews radios, de clashs avec les journalistes filmés, de scènes de liesse liées aux exploits girondins. Les premières images donnent la chair de poule. On distingue Claude Bez descendant les marches menant vers le tunnel du feu Parc Lescure... Les chants à la gloire du club marine et blanc en toile de fond nous amènent vers une première séquence émouvante puisque Dominique Dropsy est le premier à parler de son ancien président. « Il nous appelait ses seigneurs » témoigne le regretté gardien emblématique bordelais.

Et Claude Bez dans tous ça ? Le tour de force des réalisateurs est d’écarter l’image de carnassier insensible qui colle aux puissants. Si on voit un Claude Bez parfois violent, comme lors de cette scène de bagarre avec des journalistes, piégée par les caméras, on perçoit les contours d’un personnage profondément humain qui aimait ses joueurs. L’intérêt du portrait est aussi d’avoir saisi la complexité du personnage : un homme rude, capable de rabaisser autrui, mais parfois sensible. Sensible à la parole donnée, à la défense de son club, de ses joueurs, des gens qui l’entourent. On augmente également sa culture footballistique tout en apprenant à connaître le personnage. Chef d’entreprise visionnaire, directement à l’origine des droits télé qui ont enrichi les clubs français en compagnie de Jean-Claude Darmon le « grand argentier du football français », le président Bez, comme nous pouvons le voir dans le documentaire, avait fermé les portes de son stade aux journalistes de télé avant un match de Coupe d’Europe face à Bilbao. L’occasion de faire avancer les choses à sa manière dans l’optique de la rémunération du spectacle donné par les footballeurs. On rit également en regardant ce portrait. Assez souvent même. On entend cette voix posée, grave, teintée d’un léger accent, ironiser à souhait et tacler Bernard Tapie dans quelques joutes verbales savoureuses. Enfin, on perçoit un personnage grandiloquent, vrai chef de file, devant des joueurs qui ne pouvaient que suivre le mouvement vers la gloire. Le FC Girondins de Bordeaux, club feutré, ce n’était pas sous Claude Bez, on en est convaincu en regardant le documentaire.

Le choix des intervenants est également excellent. À l’image du témoignage de Jean-Michel Aulas qui n’a jamais caché s’être inspiré de Claude Bez. Les légendes bordelaises Alain Giresse, Jean Tigana ou encore Dominique Dropsy interviennent pour décrire le fameux chef de clan, de meute, qui ne jurait que par la parole donnée. Stéphane Bez, fils de Claude Bez parle de l’homme mais aussi du personnage dans sa globalité. Jean-Claude Darmon décrit le versant entrepreneur, président sûr de son fait. Tandis que Charles Bietry ou Didier Roustan apportent l’éclairage journalistique. Le choix des interviewés, certains méconnus du grand public, donne un relief important à ce portrait. Les archives de natures variées, les témoignages, et un montage qui ne se précipite pas et donne un tempo juste au documentaire, nous renvoient sur place aux côtés de Claude Bez. Tant est si bien qu’on aurait vraiment aimé être footballeur au FC Girondins de Bordeaux dans les années 80. La fin que l’on ne pourrait dévoiler, nous met simplement un pincement au coeur. Fort, fier, mais humain... Ça semblait être ça Claude Bez.

Retrouvez le documentaire sur France 3 le 30 mai 2016 à 23h30 après Soir 3 - À retrouver le lendemain en replay sur France TV Pluzz.

 

3 questions à… Laurent Tournebise auteur-réalisateur du documentaire

WebGirondins : Quand on tourne un tel film, on vit des moments forts et intenses, y compris personnellement. Pouvez-vous nous parler de cet aspect-là concernant Claude Bez le 13eme homme ?

Laurent Tournebise : Déjà,  quand on voit arriver des gens comme Alain Giresse ou Jean Tigana, des gens qui nous font rêver, il y a l’aspect plaisir personnel, on oublie le côté réalisateur. Il y a de l’émotion. En revanche, dès que la caméra se met à tourner, on est dans l’interview. Il y a toujours une phase « d’échauffement ». Les gens ont du mal à se livrer, les phrases sont lapidaires et puis ça se détend petit à petit. On a remarqué que lorsqu’on posait la question, les postures des gens se cassaient et les défenses tombaient. Ces entretiens demandent de l’effort et cela vide émotionnellement. Au bout d’un heure d’entretien il y a de la fatigue, c’est physiquement intense, surtout pour l’intervenant. Certains nous ont ouvert les portes de leurs maisons, à l’image de Jean-Michel Larqué, c’est impressionnant. Le voir lire tranquillement l’Equipe pendant qu’on installait le matériel, observer le décor, son studio radio, sa collection de maillots, c’est marquant. Je me souviens de moments forts. Alain Giresse, par exemple, s’est fait extrêmement violence pour parler de son divorce avec Bordeaux. Pour ma part, je me mets à la place des gens, je respecte leur histoire. On a l’impression d’entrer dans leur intimité et ce n’est pas facile. Le premier entretien avec Dominique Dropsy a créé beaucoup d’émotion. C’était au Stade Lescure, c’était le premier ancien glorieux que nous rencontrions, forcément c’est un souvenir marquant.

WebGirondins : On sent encore une chape de plomb autour du sujet Claude Bez, notamment lors de certains commentaires après le film. Vous dites vous-même que cela a été difficile de faire ce film. Quelles en sont les raisons ? 

Laurent Tournebise : C’est un sujet difficile même 17 ans après sa mort. Parce qu’il y a toujours des affaires en cours, notamment par rapport à sa famille. Au niveau de Bordeaux on sent que cela se détend un peu. En 2015 on avait été invités à Gold FM pour parler de Claude Bez et c’était l’une des premières fois que l’on évoquait ce sujet au sein de la radio officielle du club. C’est un personnage qui suscite la controverse, il y a des choses qui sont difficiles à évoquer. On a eu des refus de gens pour des raisons personnelles car c’était douloureux par rapport à ce qu’ils avaient connu vis-à-vis de leur histoire personnelle avec Claude Bez. Au final nous avons eu trois refus mais pour des raisons que je juge valables. Le plus dur a été de mobiliser les financements pour faire le film. Il faut amener des noms, mais aussi des gens qui ont bien connu l’homme. Dès qu’on pouvait mieux connaître les gens en amont, on le faisait pour instaurer un climat de confiance autour du sujet.

WebGirondins : Ce film est un excellent outil pour perpétrer le patrimoine culturel du club. Que diriez-vous aux supporters bordelais pour ne pas louper le film lundi soir ? 

Laurent Tournebise : Je dirais que c’est important de connaître l’histoire du club. J’aimerais que l’on s’inspire de Saint-Etienne où il y a notamment un musée. En tant que fan des Girondins j’aimerais que l’on sache d’où le club vient. Il y a eu des époques hors-normes comme celle de Claude Bez à l’instar de celles de Bernard Tapie ou de Roger Rocher à Saint-Etienne. C’est important d’avoir la connaissance de ces épisodes du club bordelais avec ce qu’il y a de bon et de moins bon. Les supporters doivent savoir que Bordeaux était le porte drapeau du football français dans ces années-là et que Claude Bez a beaucoup fait pour les Girondins, certes, mais pour le football en général. C’est un personnage cinématographique dont on peut être fier tout en connaissant ses limites. Je pense aux adolescents qui ne connaissent pas forcément ces périodes et c’est une bonne chose qu’ils puissent avoir accès à cette histoire. Claude Bez a fait partie de ces présidents qui ont fait passer le football français à une étape supérieure de son développement.

Par Florian RODRIGUEZ

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