Jean-Yves de Blasiis : "Est-ce que Paulo Sousa fait jouer le joueur pour gagner de l'argent ou pour faire gagner l'équipe ?"

13/05 - 18:23 | Il y a 4 ans
Jean-Yves de Blasiis : "Est-ce que Paulo Sousa fait jouer le joueur pour gagner de l'argent ou pour faire gagner l'équipe ?"

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Jean-Yves de Blasiis connaît bien les Girondins de Bordeaux, pour y avoir joué et travaillé. Le natif de Bordeaux est revenu pour nous sur la première année des Marine et Blanc sous l'ère GACP-King Street. Il dresse un portrait sans concession des Girondins de Bordeaux aujourd'hui. Nous publions à nouveau cet entretien réalisé mi-mars.

WG : Quelle est ta vision du club aujourd'hui ?

JYD : C'est un sentiment de nostalgie qui m'envahit. Le club restera une étape importante dans ma vie, à la fois affective et professionnelle. C'est une institution bordelaise très importante pour moi. Aujourd'hui, depuis le rachat par des gens qui ne sont pas dans l'historique bordelais, c'est difficile. En plus, par rapport au niveau du club aujourd'hui qui ne concurrence plus le haut du tableau, qui n'est plus présent en Coupe d'Europe, je suis nostalgique. Je regarde ça de l'extérieur avec beaucoup de déception.

WG : Comment juges-tu la transition entre M6 et les Américains ?

JYD : Pour avoir vécu des deux côtés. Je n'ai pas connu M6 en tant que joueur, mais en tant que salarié administratif, ce que j'ai vécu de l'intérieur était très positif en tant que vie dans l'entreprise. J'ai vécu 8 ans top niveau. C'était une période que je juge positive. Après on a tout connu avec M6, des titres et des saisons compliquées. Bordeaux après l'époque post-Bez a eu une gestion sportive très prudente qui malgré tout a maintenu le club à un bon niveau en Ligue 1.

Même, si en tant que supporter j'aurai aimé que M6 soit plus ambitieux, pour que le club puisse être aujourd'hui concurrentiel d'un Lyon, avec Aulas qui a développé structurellement son club. Je trouve que le club des Girondins de Bordeaux aurait du se situer en concurrence de Lyon, aujourd'hui ce n'est plus le cas. La période de M6 a laissé des choses positives, mais avec ce manque d'ambition, c'est dommage.

"POSSIBILITÉ DES GENS DE SE SERVIR UN % SUR LES TRANSFERTS"

WG : Est-ce que tu arrives à lire le projet King Street pour les Girondins de Bordeaux ?

JYD : De l'extérieur c'est difficile de connaître factuellement l'ambition d'un propriétaire d'un club de football. Aujourd'hui, je me dis que s’il n'y a pas de lien affectif historique avec un club de football et qu'on a des intérêts économiques quelque soit l'actionnaire et le propriétaire, on sait tous que c'est très compliqué de gagner de l'argent avec un club. À moins de pouvoir venir se rémunérer sur les transferts de joueurs qui sont aujourd'hui la seule spéculation dans le football. C'est là que se situe le mouvement d'argent. Je me dis très naïvement qu'un fonds d'investissement qui met de l'argent dans un club va plutôt enrichir des personnes à titre individuelles que des personnes morales. Aujourd'hui je n'ai ni les moyens ni l'opportunité dans discuter avec les dirigeants.

Si je prends du recul, je me dis quel est l'intérêt de ses gens là ? Il faut savoir gérer le club au quotidien, être ambitieux et bâtir un centre de formation digne de ce nom. J'ai eu l'occasion d'entraîner les U15 féminines des Girondins de Bordeaux qui s'entraînaient sur la commune de Blanquefort. Même avant le départ de M6, structurellement il n'y avait aucun effort de fait sur les terrains et les vestiaires. J'ai passé deux mois et demi à ne pas pouvoir entraîner les filles U15 des Girondins, quand un club comme le TFC a mis l'ancien CREPS à disposition de toute sa section féminine sans jamais avoir à annuler une seule séance. Quand on parle d'ambition et de travail dans un club, il y a tout un tas de projets qui se superposent. Si on a pas un mécène comme les Qataris, il faut travailler différemment sur la formation, sur des projets parallèles qui vont venir faire que le club va se maintenir à un haut niveau de pratique.


C'est ce qui me fait peur avec le projet des Américains, c'est qu'il n'est pas lisible aujourd'hui. Outre le fait de s’appuyer sur la formation pour générer de bons joueurs et les vendre. Je vois aussi en ça la possibilité des gens de venir se servir en périphérie sur le % des transferts effectués. Aujourd'hui, les entraîneurs, voire des dirigeants, peuvent être intéressés à titre personnel sur les ventes des joueurs.  Ça veut dire qu'un entraîneur qui est intéressé sur le transfert d'un joueur, quel est son investissement à moyen et long terme dans la vie du club ? Quel que soit l'entraîneur, si l'entraîneur est intéressé sur la vente des joueurs qu’elle va être sa décision sportive ? Est-ce qu'il fait jouer le joueur parcequ'il va lui rapporter de l'argent ou est-ce qu'il fait jouer le joueur, car il peut faire gagner l'équipe ? Les deux peuvent être liés, je n'en sais rien, mais psychologiquement dans la gestion d'un groupe c'est particulier.


"JE NE VOIS PAS SOUSA S'INVESTIR DANS LE LONG TERME, ÇA ME DÉRANGE"

WG : Justement, parlons de Paulo Sousa qui divise les supporters et observateurs, quel est ton sentiment sur le coach ?

JYD : Il s'est entouré de gens de confiance et a contribué à ce que des historiques du club soient licenciés et a mis des hommes à lui en place, il a recréé ses conditions de travail qui lui sont propres, et avec sa propre organisation. Le jour où il va partir tout le monde va suivre et ne restera pas au club. Quand Sousa va partir avec tous les gens qu'il a mis en place au club, tout le monde va le suivre, que va-t-il rester ? Que va-t-on garder de ça ? Comment se projeter au quotidien dans ces conditions ? C'est un bon communicant, avec des idées qu'il a bien expliqué. Mais aujourd'hui la qualité de l'effectif... même si je déteste être trop dur avec les joueurs, car je l'ai été, mais factuellement on voit un groupe sur lequel il n'a pas tout à fait la main.

Il est bien organisé et il a eu des résultats, mais ça a fait long feu, et comme d'autres avant lui, des Gourvennec, Sagnol, petit à petit la flamme s'éteint. Il me donne le sentiment de se nourrir des Girondins de Bordeaux comme beaucoup pour rebondir ailleurs, et ça me dérange beaucoup aujourd'hui. Il n'y a plus de directeur sportif garant de la politique sportive avec la main sur le groupe. Je vais remonter loin, mais il n'y a pas un Didier Couecou, qui était un meneur d'hommes. Alors, oui c’était une autre époque, une autre génération, je le sais bien. On a donné beaucoup de pouvoir à Paulo Sousa, qui demain ne sera plus là. Il pourra toujours rejeter la faute sur les joueurs en disant, le club ne m'a pas mi a disposition des joueurs que je voulais. Ce sont toujours les mêmes leviers. Je ne le vois pas s'investir dans le long terme aux Girondins de Bordeaux, ça me dérange.

WG : Que peut-on souhaiter aux Girondins de Bordeaux ?

JYD : De trouver demain un amoureux du club, qui a les moyens, et s’il n'a pas les moyens sur ses fonds propres, que ce soit une véritable personne capable d'agréger autour de lui des gens qui auront les moyens de redonner une identité à notre club. J'ai le sentiment qu'on est en train de perdre petit à petit tout ce qui a fait la grandeur de ce club.

Les années 80, et derrière les années 90, le titre de 1999, de 2009. J'ai peur qu'on devienne un club juste moyen, sans flamme, et avec un stade qui n'écrit pas son histoire. Il ne s'y passe rien, il est vide. J'espère que quelqu'un pourra redonner une véritable image et identité à ce club. J'ai du mal aujourd'hui à définir le projet du club avec des valeurs. Je ne serais pas définir le projet et les valeurs des Girondins de Bordeaux aujourd'hui.

WG : De quelles valeurs du parles ?

JYD : Il y avait une véritable identité régionale et d'excellence. Structurellement, on était dans un environnement de qualité et en avance sur notre temps. Il y avait une sorte d'organisation et la recherche de l'élitisme positif aux Girondins qu'on a plus. C'est dilué aujourd’hui. Les anciens travaillent dans leur coin pour ne pas perdre leur boulot. Ceux qui sont la nourrissent une ambition personnelle et financière. Je ne suis pas persuadé que Frédéric Longuépée soit attaché au club, avec l'amour du club et de l’attachement pour dépasser sa fonction administrative. Quand j'arrivai aux Girondins de Bordeaux, j'étais impressionné. Aujourd'hui, ça l'est moins, car les gens sont moins attachés au club. Il n'y a plus d'anciens dans le club à l'exception d'Ulrich Ramé.

Nicolas Pietrelli

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