Tout savoir sur le nouveau maillot des Girondins avec Denis Brudieux

02/07 - 12:59 | Il y a 2 ans
Nous avons rencontré Denis Brudieux qui a travaillé pendant 20 ans aux Girondins de Bordeaux sur la confection des maillots du club. Il décrypte pour les lecteurs de WebGirondins les enjeux de ce nouveau maillot que ce soit le marketing, le design et le respect de la communauté. En bonus, le podcast de cet entretien est aussi disponible pour nos abonnés en bas de page.
Tout savoir sur le nouveau maillot des Girondins avec Denis Brudieux

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WebGirondins : Denis, tu as été responsable marketing, merchandising et brand manager aux Girondins de Bordeaux pendant 20 ans quasiment. Est-ce que c'est bien ça ?

Denis Brudieux : C'est ça, aux Girondins pendant 20 ans, je me suis occupé du développement de la marque au sens large. Donc avec une partie de Brand Management, j'ai sorti et développé tous les produits qui étaient dédiés autour de la marque. Et j'ai fais partie aussi du comité de direction afin de pouvoir développer après les centres de profit qui exploitaient justement la marque qu'on avait ainsi essayé de valoriser.

Avec ton œil avisé, comment juges-tu ce nouveau maillot domicile des Girondins de Bordeaux, pour la saison 2023-2024 ?

Comme je l'avais fait l'an dernier, lorsqu'on avait parlé du troisième maillot fait par Adidas, qui était un maillot un petit peu plus urbain que j'avais déjà accueilli de façon assez positive, mon jugement pour cette nouvelle collection Adidas, est très positif.

Quels sont les fondements et enjeux pour un nouveau maillot chez les Girondins, et au sens large dans un club de foot professionnel ?

Alors, il faut savoir qu'un maillot, comme l'ensemble des emblèmes d'un club, doit incarner un positionnement.

Le positionnement, c'est l'image qu'on veut véhiculer pour un club. Donc toutes les prises de parole d'un club, maillot y compris, doivent incarner ce positionnement. Et pour les Girondins, de façon historique, depuis une vingtaine d'années, il avait été défini que ce positionnement, cette image sur laquelle on voulait capitaliser le développement du club devait s'articuler autour du côté fleuron régional, d'un côté assez élégant, d'un club jeune, et après d'un club historique.

Depuis 2005-2006, l'idée, ce n'est pas que les trois maillots incarnent tous les items et que les trois maillots parlent à l'ensemble du public. L'idée, c'est de faire en sorte que, dans les trois maillots, il y ait un maillot qui puisse incarner un thème et toucher une audience plus particulière.

Donc le but, ce n'est pas que les trois maillots plaisent à tout le monde, mais c'est que dans les trois maillots, chacun puisse y retrouver l'image du club qu'il souhaite. Donc en général, il est d'usage de dire que le maillot Home, le maillot de domicile, lui, en général, il doit être le plus transversal possible. C'est-à-dire qu'il doit toucher un panel de public le plus large possible, avec les items forts.

Donc souvent, les items forts, c'est le côté région, le côté élégant, le côté historique. Et là, en l'occurrence, à travers ce qu'on vient de dire, on peut se rendre compte que le maillot Home de cette année, il a bien un positionnement très transversal, donc on voit qu'il plaira à l'ensemble du public visé.

 

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"Le but c'est que chacun puisse trouver un maillot qui lui corresponde"

 

On voit qu'il s'appuie aussi sur des items qui sont vraiment ancrés au sein du club, qui sont vraiment un maillot très historique, avec un scapulaire qui est assez profond, assez important. Et puis, quelque chose d'assez élégant. Donc on voit que ce maillot-là, il remplit, en général, le rôle historique de l'ensemble des maillots de domicile.

Et charge après, à l'équipementier Adidas cette année, de faire en sorte que les deux autres maillots qui vont sortir puissent être complémentaires en termes de thème et puis d'audience. Donc je m'attends à voir peut-être à un maillot un peu plus jeune, avec un thème peut-être un peu plus écarté du foot, et un troisième maillot qui sera un petit peu complémentaire.

Donc d'un point de vue marketing, voici ce dont on peut attendre des maillots. Le club essaie de faire en sorte que des maillots correspondent à des thèmes, à des parties du public. Donc c'est tout à fait normal que certaines parties de notre audience, notre public, n'aiment pas certains maillots. Le but par contre, c'est que chacun puisse trouver un maillot qui lui corresponde. Donc là, on est sur le domicile, c'est fait pour toucher vraiment le fan des Girondins de Bordeaux. Le domicile est censé toucher le plus de monde possible. En général, c'est le maillot sur lequel on ne prend pas de risque, on joue vraiment sur l'essence même du club.

"Jean-Louis Triaud m'a dit : "Je me tape complètement du financier, ce que je veux c'est avoir un club qui parle à tout le monde""

 

L'objectif du club est de l'équipementier est-il de vendre un maximum de maillot pour des raisons économiques ?

Non, pas du tout. Ceux qui pensent que les clubs sont capables de pervertir leur image sur des maillots pour faire du commerce se trompent complètement. Je tiens à le préciser directement, ils se trompent complètement. Moi je me rappelle quand je suis arrivé en 1996 aux Girondins, ma première mission, Jean-Louis Triaud m'a dit : "Je me tape complètement du financier, ce que je veux c'est avoir un club qui parle à tout le monde."

Donc ça a été la mission qui m'a été donnée dès le début, un club qui parle à tout le monde. Un club qui parle à tout le monde, c'est un club qui développe sa communauté. Ça veut dire qu'il doit avoir des prises de parole et des produits qui peuvent toucher l'ensemble de sa communauté. Il y a des Ultras qui sont un enjeu majeur pour les clubs, il y a des partenaires, il y a des sympathisants, il y a des gens qui ont une vision plus diluée du club, et tous ces gens-là, ils doivent pouvoir trouver des messages et des produits du club qui puissent les toucher. Et c'était la mission qu'il m'avait donnée.

Et les grands clubs ce sont des clubs communautaires. Et après si tu veux parler de l'aspect financier, on va en parler, mais on va remettre les choses en place. Sur un maillot de foot aujourd'hui qui est vendu 90 euros, 95 au niveau des adultes, mais si on compte les tailles aussi enfants qui sont vendus un peu moins cher, on va dire qu'un maillot aujourd'hui enfant adulte est vendu à peu près à 85 euros en moyenne.

Il faut savoir comment les choses marchent. Il y a deux parties, les maillots sont vendus à travers deux créneaux. Les créneaux du club, c'est-à-dire le club achète à l'équipementier son maillot et le revend, et il faut savoir que sur ces maillots-là, le club fait une marge maximum de 40%. Et sur une saison complète avec des promotions complètes, le club gagne 30% du prix hors taxes de ces maillots-là. C'est-à-dire que grosso modo sur chaque maillot que le club va vendre, il va gagner à peu près 20 euros. C'est-à-dire que pour les saisons record des Girondins de Bordeaux où nos boutiques ont vendu à peu près 50 000 maillots, le club a récupéré 1 million de marges sur les maillots.

Et le deuxième axe, évidemment lorsqu'on confie ses maillots à un équipementier, c'est que l'équipementier peut vendre aussi les maillots directement, en dehors des boutiques du club. Il peut les vendre dans le monde entier, directement aux magasins de sport. Et là-dessus, le club ne récupère que 7% du prix de vente grossi. C'est-à-dire que sur les ventes faites par l'équipementier, le club récupère 3 euros. Et lors de la saison record de vente de maillots aux Girondins où on a vendu quasiment 100 000 maillots, il y avait 50 000 qu'on avait vendus par nos propres réseaux sur lesquels on a gagné 1 million d'euros. Il y avait 50 000 qui avaient été vendus aussi par l'équipementier au niveau du monde entier. Et là-dessus, on n'avait récupéré que 3 euros par maillot, c'est-à-dire 150 000 euros. C'est-à-dire que pour une saison record des Girondins de Bordeaux, la vente des maillots a rapporté 1,1 million sur un budget de 120 millions.

Crois-tu que la répartition aujourd'hui est identique ?

Oui. Je sais que beaucoup de grands clubs légitiment les gros salaires qu'ils donnent aux joueurs en disant qu'ils vont les récupérer sur la vente des maillots. C'est faux. Sur la vente que font les clubs directement de maillots, il touche 20 euros. Et sur la vente que fait l'équipementier au niveau mondial, il touche 3 euros. Donc après, vous voyez un petit peu les volumes annoncés par les clubs en termes de maillots. Ça vous donne à peu près ce qu'il reste. La seule différence, c'est que, je vais finir là-dessus, c'est important. Sur les 3 euros que le club touche de l'équipementier, c'est 3 euros net. Par contre, sur les 20 euros que le club touche sur la vente de ses maillots via ses réseaux, là, il doit déduire toutes les charges.

Lorsqu'on a un actionnaire, notamment des fonds d'investissement qui sont là sur le court terme, la logique veut que comme ils ne construisent pas des clubs sur la durée, en général, ils sous-traitent l'ensemble des activités périphériques pour ne se consacrer que sur ce qui y rapporte, c'est-à-dire le trading-joueur et puis le revenu stade.

Donc en général, tous les clubs qui sont gérés à court terme par des fonds d'investissement, ils sous-traitent ces activités parce qu'ils n'ont pas envie de gérer 100 ou 200 collaborateurs. C'est le cas aujourd'hui.

"Je trouve que c'est assez émouvant"

 

Revenons sur le maillot domicile et son design. Tu as donné les enjeux, tu as expliqué un peu le côté business. C'est quoi les détails qui te frappent esthétiquement sur ce nouveau maillot ?

Ce qui m'a sauté aux yeux tout de suite, c'est que ça m'a rappelé une époque qui était pionnière et précurseur. Quand je suis arrivé en 96 aux Girondins, on est Champion de France en Coq Sportif en 99. M6 rachète le club et là, on passe dans une nouvelle ère en signant un contrat avec Adidas.

Il ressemble fortement au maillot 2001-2002, On était parti justement sur ce positionnement là. Et je crois que le maillot domicile qu'on avait fait à l'époque, il me semble qu'il est très, très grandement proche du maillot actuel. C'est assez émouvant pour moi. Et puis ça me fait dire aussi que lorsque les marques sont fortes et les positionnements sont forts, 20 ans après, ce que je vois, c'est que finalement, c'est naturel. Les Girondins de Bordeaux développent de nouveau un maillot avec Adidas, quasiment sous le même modèle que celui qu'ils avaient déjà développé il y a 23 ans, 22 ans.

Ce qui prouve que l'image des Girondins est restée stable et qui prouve aussi que le positionnement d'Adidas est resté un peu le même. Donc je trouve que c'est assez émouvant. Et puis ça montre que lorsque l'on a un positionnement et une image, il faut s'ancrer dessus, il ne faut pas en sortir. C'est la première chose qui me vient.

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Pauleta avec le maillot 2001 @iconsport

"Un club doit parler à toute la communauté, des enfants, des femmes, des adolescents, des sympathisants"

 

À cette époque, les maillots restaient deux saisons. C'est bien ça ?

Et c'est vrai qu'à l'époque, je me rappelle encore, les maillots étaient surtout dédiés pour équiper les équipes professionnelles et l'école de foot. Mais le merchandising des clubs n'était pas très développé. Et je me rappelle encore, c'était Bernard Lafaye, responsable de la sécurité qui gérait aussi le flocage des maillots. Donc on était à l'époque au balbutiement du merchandising. Et Adidas est arrivé avec une exploitation un peu plus commerciale et marketing des maillots.

Et donc on avait pris l'option de sortir deux maillots, un maillot domicile et un maillot extérieur. Et comme c'était un peu les balbutiements et qu'on n'avait pas beaucoup de recul, en tout cas dans l'exploitation commerciale des maillots, l'idée d'Adidas était de dire que chaque maillot a une durée deux ans, par contre on va les décaler dans le temps. Comme ça, chaque année, on aura quand même un nouveau maillot.

En 2003-2004 ou 2005, 2004 peut-être, les clubs se sont rendu compte que pour pouvoir toucher une communauté large qui était aussi en demande de produits différents, il fallait sortir un troisième maillot qui sorte des codes historiques des clubs. Parce qu'en général, le maillot domicile et extérieur doivent rester dans les codes du club. Et la genèse du maillot third, contrairement à ce que certains supporters peuvent penser, ce n'est pas du tout une démarche purement mercantile.

C'est une démarche : "un club doit parler à toute la communauté, des enfants, des femmes, des adolescents, des sympathisants," et pour ça il faut sortir aussi des codes classiques. Et ça a été la genèse des maillots third, c'est pour raconter des histoires différentes, qui sortent un peu du cadre du foot, pour toucher des gens qui ont aussi le droit à avoir des produits différents.

Pour revenir à ce maillot domicile qui vient de sortir, on voit le blason, le logo du club, au milieu. Ça s'explique comment ? Est-ce qu'il y a une certaine symbolique ?

Je sais qu'à l'époque, lorsqu'on avait choisi de partir sur ce maillot-là, l'idée c'était de se dire qu’on veut un maillot qui incarne le côté chic et historique. Donc le chic c'était un Marine et Blanc assez élégant. Et puis le côté historique, lorsqu'on a revu les maillots de l'histoire du club, il y a eu notamment, dans les années 20, un logo qui était central. Il était au-dessus du scapulaire. Et donc on s'était dit que de mettre le logo central bien puissant, ça lui donnait beaucoup plus de visibilité, et puis ça véhiculait ce côté vintage. Donc l'histoire du blason central, c'était pour véhiculer ce côté vintage, et puis ça nous donnait, je trouve, une assise.

Ensuite, le fait qu'on ait un scapulaire, c'est un avantage, mais une contrainte d'un point de vue marketing, Ça nous impose après de mettre le logo au-dessus. Donc en fait on a une double contrainte, on ne peut pas mettre le scapulaire trop bas, parce que s'il est trop bas, le sponsor est à un niveau qui est trop bas, qui n'est plus visible, en tout cas pas assez visible pour les annonceurs. Et si on met le scapulaire trop haut, on n'a plus la place pour mettre le logo des Girondins.

Donc ça a toujours été un long combat pendant 20 ans de trouver le bon format de scapulaire pour permettre en dessous du scapulaire une visibilité optimum du sponsor, et pour ne pas écraser au-dessus le logo du club. Et c'est vrai que cette version-là imposait un logo, un scapulaire bien plus large, pour pouvoir y insérer le blason, mais je trouvais que ça donnait un autre côté, en tout cas très vintage et surtout très puissant, très emblématique au blason.

Je trouve que ce maillot est vraiment très très réussi, je pense qu'il va plaire à beaucoup de gens avec une cible très transversale. Mais il ne faudra pas s'offusquer si le deuxième ou le troisième maillot dédié à une partie du public différente sur des codes couleurs comme celui de l'an dernier.

Nicolas Pietrelli

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