Entretien - Girondins. Romain Ferrier : "À Bordeaux, tout a été rasé"

18/12 - 15:14 | Il y a 5 mois
Les Girondins de Bordeaux accueillent le Stade Rennais ce dimanche à 14 h 45 pour les 32es de finale de la Coupe de France. Pour l’occasion, Romain Ferrier, champion de France 1999 avec le club au scapulaire, et récent directeur technique du centre de formation, nous raconte son passage au centre de formation du club breton en tant qu’entraineur, mais également son retour en Gironde en 2021 jusqu’au terrible épisode de l’été 2024.
Entretien - Girondins. Romain Ferrier : "À Bordeaux, tout a été rasé"

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Bordeaux va retrouver un club professionnel sur son chemin ce dimanche en Coupe de France. Les hommes de Bruno Irlès accueillent le Stade Rennais à 14 h 45. Romain Ferrier a vécu les dernières heures du centre de formation bordelais, mais également l’essor de la formation rennaise. Pour WebGirondins, le champion de France 1999 se confie sur un été 2024 compliqué.

WebGirondins : Comment allez-vous en ce moment ? Avez-vous des projets pour 2025 ?

Romain Ferrier : l’idée, ça serait de trouver autre chose. Pour moi, la saison, elle n’a pas commencé. Ça a été de la gestion, à l’instar de tous les autres éducateurs, de retrouver des projets pour les garçons du centre de formation qui ont été laissés sur le bas-côté malheureusement. Donc, la priorité, ça a été ça. Et puis maintenant, j’aimerais me challenger même si je sais que ce n’est pas facile parce que tous les staffs sont fournis, donc je reste attentif.

Vous avez des pistes ?

On discute, on échange à plus ou moins long terme. Étant donné mon expérience passée au Stade Rennais notamment et aux Girondins de Bordeaux, des clubs se sont manifestés, donc je vais voir en espérant que cela aboutisse bientôt.

Revenons dans le passé, comment s’est déroulée votre arrivée à Bordeaux en 1997 ?

J’étais assez jeune au centre de formation à Cannes et à l’époque, il y avait de très bonnes relations entre Bordeaux et Cannes. Beaucoup de joueurs ont fait ce chemin entre les deux clubs. Bordeaux m’a contacté avec d’autres clubs, mais Bordeaux reste un grand club, il joue la coupe d’Europe. Pour moi, c’était une évolution logique et je n’ai pas hésité.

Deux ans après, vous êtes champion de France, c’est le plus beau souvenir de votre carrière ?


Oui évidemment, le titre en lui-même, mais l’aventure humaine que l’on a vécue cette année-là avec le groupe était incroyable sur le terrain et en dehors. Et cette communion avec le public, c’était une saison magnifique. Et même à côté de ça, un gros parcours en coupe d’Europe où on est sorti par le champion d’Europe Parme, mais on a joué une équipe incroyable.

On imagine que la fête devait être sympa ?


On avait des leaders (rires). Mais la cohésion était très bonne, donc on s’est tous joints à eux, mais certains étaient moins visibles, mais étaient des vrais guilleront.

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Dans la foulée vous partez à Montpellier, pourquoi ?

Jérôme Bonnissel est arrivé et moi, je savais que je voulais du temps de jeu. Et donc, j’ai voulu aller au temps de jeu, j’ai eu pas mal de propositions. Mais ça s’est fait avec Montpellier parce que Bordeaux voulait faire Jean-Christophe Rouvière et donc ça a pu se faire, sinon Bordeaux ne voulait pas me lâcher.

« C’est une alchimie avec des personnes compétentes orientées vers l’institution »

Après votre carrière il y avait vocation à être entraineur ?

Ça s’est fait au fur et à mesure, parce que mon passé au centre de formation de l’AS Cannes m’a marqué, il y avait une fibre pour la formation. J’ai baigné là-dedans. Par la suite, j’ai eu des responsabilités au cours de ma carrière, en étant capitaine, relais du coach. Puis, en étant papa aussi, il y a un rôle éducatif. Donc, je ne dis pas que cela s’est fait naturellement, mais c’est venu, puis j’ai commencé à passer mes diplômes.

Comment s’est déroulée votre arrivée au Stade Rennais ?


J’étais dans le monde amateur à côté de Cannes à l’US Pégomas. Et puis, j’ai eu l’opportunité de revenir dans le monde pro en tant qu’éducateur dans un premier temps. J’ai eu par la suite des responsabilités qui ont pris de l’épaisseur chaque saison. Le projet en arrivant là-bas c’était d’apprendre et se former.

Comment expliquer l’évolution du Stade Rennais en matière de formation ? (Le club a été élu pour la deuxième année consécutive 1ᵉʳ centre de formation français par la Fédération Française de Football)


À Rennes il y avait le bon combo au niveau de la formation. Il y avait un savoir-faire, il y avait déjà monsieur Patrick Rampillon qui est un poids lourd de la formation française. Il a fait un énorme travail au centre de formation à Rennes. Et ensuite, il y a eu une vraie identité, un bon recrutement et de bons formateurs.

Et surtout une continuité dans le projet. Quand je suis arrivée là-bas j’ai travaillé les huit saisons avec les mêmes formateurs. Donc, il y a une vraie continuité couplée à un vrai savoir-faire. Également des moyens pour recruter, mais c’est aussi un cercle vertueux, dans le sens où les jeunes jouent, donc la vitrine est magnifique.

Les garçons ont envie de venir jouer à Rennes et tout est mis en œuvre pour que le joueur se sente bien et soit formé au maximum de son potentiel. C’est une alchimie avec des personnes compétentes orientées vers l’institution.

Il y a un joueur qui vous a vraiment impressionné à ce moment-là ?

Il y en a plein, on passe d’Ousmane Dembélé à Eduardo Camavinga à Mathys Tel, Désiré Doué, j’en oublie beaucoup, Yann Gboho, Sacha Boey… Ils étaient talentueux, mais ils ont travaillé. C’est aussi simple que ça. Ils ont du talent, mais ils travaillent sur leur talent.

« Un jeune doit avoir du temps de jeu, peu importe le niveau, il doit se confronter à la compétition »

Vous finissez par remplacer Julien Stéphan à la tête de l’équipe réserve. Est-ce qu’aujourd’hui, c’est difficile d’entrainer une équipe réserve d’un club professionnel ? (En 2024, seulement 6 équipes pros ont une équipe réserve en N3 aucun en N2.)


Oui, c'est compliqué, parce qu’aujourd’hui une réserve est au service de l’équipe première. Donc, elle se doit d’être à l’écoute de ce qui se passe au-dessus. Deuxièmement, nous, on nous demande de former de jeunes joueurs de plus en plus jeunes.

Et puis on tombe dans des championnats avec les réformes. Ce qui a complètement bouleversé le sort des équipes réserve. Le championnat est de plus en plus consistant, beaucoup plus solide. Et c’est une très bonne expérience malheureuse pour les Girondins de Bordeaux, mais quand on voit le niveau National 2, c’est impossible de penser à des jeunes d’une équipe réserve. On ne peut pas tenir aujourd’hui, c’est impossible.

Les joueurs en France ont été formés de partout, en National 2, les joueurs ont soit : une grosse expérience en National ou Ligue 2, ou alors les joueurs sortent d’un centre de formation. Ce ne sont jamais des joueurs qui sortent de nulle part. Le niveau s’est resserré et ça va être de plus en plus compliqué.

L’option que certains clubs ont avec des moyens, c’est d’encadrer de jeunes joueurs avec des personnes confirmées de 25-26 ans. Mais, avec une équipe de jeunes, c’est impossible de tenir.

C’est également ce qui s’est passé avec la réserve des Girondins de Bordeaux en N3 ?

Oui, tout à fait, après évidemment, il y a aussi une question de qualité de joueurs aussi. Avec Bordeaux on n’avait pas non plus un effectif très large en réserve. Donc, on prenait toujours en dessous sur les U19, U18 ou U17. Il y a des réserves dans d’autres clubs pros qui sont beaucoup plus fournies.

« Je n’ai jamais vécu ce que j’ai vécu en trois ans à Bordeaux »

Selon vous il faut réformer cela, potentiellement faire sortir les équipes réserve des championnats ?

Je pense que c’est nécessaire et c’est en train de se faire. Les clubs sont en train de réagir, on peut organiser des matchs amicaux. En National 2 ou National 3, quand la Coupe de France arrive, elles ne peuvent pas la jouer. Donc, le début de saison est très compliqué pour les équipes réserve, car elles ne jouent qu’un week-end sur deux.

Et il y a des clubs pros qui ont aménagé un genre de championnat parallèle pour combler ces trous du calendrier. Mais, je pense qu’il y a une formule à trouver, la Fédération s’y est penchée. C’est un vrai problème.

Mais il y a également la problématique du temps de jeu pour le 17e, 18e ou 19e joueur d’un groupe. Ils sont sur les feuilles de match, mais ils rentrent peu. Ils ont besoin de jouer. Et si le club joue le dimanche, il ne rentre pas, donc il ne joue pas du week-end. Ils vont peut-être compenser en faisant des courses, mais rien ne remplace le match. Et un jeune doit avoir du temps de jeu, peu importe le niveau, il doit se confronter à la compétition.

En 2021, vous revenez à Bordeaux, comment s’est déroulé ce retour ?

C’est mon choix, je voulais venir à Bordeaux. J’avais des sollicitations, mais dans mon idée, je voulais revenir. J’ai contacté beaucoup de personnes pour sonder, mais ça n’a pas été simple. Et finalement, c’est Alain Roche qui a validé cette arrivée. C’était mon désir premier.

C’était déjà compliqué à ce moment-là.

Je suis arrivé avant Gérard Lopez, mais au moment où je donne mon accord, je ne sais même pas si mon contrat va être homologué à la Ligue. C’est vrai qu’avec du recul, je me dis que le choix a été un peu Rock N’Roll. Parce que je n’ai jamais vécu ce que j’ai vécu en trois ans à Bordeaux.

Comment était le contexte à votre arrivée ?

C’était un peu tendu parce que, la première année, je viens comme simple responsable des U19, je regarde un peu ce qu’il se passe. Je vois tous ces gens qui arrivent, mais je reste focus sur moi et sur ma mission première, être formateur.

Et puis, on voit comme tout le monde ce qu’il se passe sportivement et cette catastrophe. Déjà, la première saison, on a failli passer à la trappe au niveau DNCG (été 2022) donc, je me suis dit « woo au bout d’un an ». Ma femme et mes enfants étaient restés à Rennes pour finir le cycle scolaire, ils devaient arriver et le club allait exploser. Finalement, on repart on ne sait pas trop comment, ça n’a jamais été un long fleuve tranquille.

« On est là, on se regarde, on n’a plus de sens, plus de but. On n’a plus rien »


Comment on travaille dans ces conditions, on se met dans une bulle ?

On essaie d’être dans une bulle. Nous, ce n’est pas qu’on est épargné, mais on a un travail de formateur, d’éducateur. On a ce devoir de préserver les garçons de ça, mais aussi de les informer de ce qui peut se passer, de les préparer à devenir professionnels.

On est focus, tête dans le guidon pour eux. On est un peu dans notre bulle, mais en 3 ans, il y a près de 30 joueurs qui ont débuté en professionnel, c’est juste anormal. On a beaucoup tiré sur la formation à ce moment-là. Et la meilleure des réponses pour nous, ce sont ces jeunes, notamment la deuxième saison (2022/2023) qui ont été lancés par défaut, mais qui ont répondu présents. On était content pour eux.

Alors au quotidien, ça nous a mis en difficulté, car il y a 12 joueurs qui intègrent l’équipe première qui n’était pas prévue. Cela a des conséquences derrière sur toutes les équipes. Mais on est très content d’avoir pu accompagner ces joueurs-là pour qu’ils puissent avoir l’expérience de jouer au Matmut.

En 2024, le club abandonne le statut pro, ferme son centre de formation, comment l’apprenez-vous ?

Comment on l’a appris ? On l’a appris par la presse. Par le journal L’Équipe qui expliquait que le club des Girondins de Bordeaux renonce au statut pro. En renonçant au statut pro, on savait tout de suite que l’agrément centre de formation allait être retiré, que cela allait être terminé. Ça a été un choc pour tout le monde. Et puis derrière l’urgence. Rien n’est préparé nous, on était au courant de rien. On l'a pris en pleine gueule. Donc derrière, tout le monde nous appelle.

« Qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce qu’on fait ? Qu’est-ce qui va se passer pour nos enfants, niveau scolarité, football ? » On a vraiment pris ça pleine gueule. On a dû gérer beaucoup de choses.

On était très loin du sportif. Mais c’était une épreuve. Malheureusement ça se termine de la pire des manières pour tous ces garçons. Je pense à ceux qui se faisaient une joie de rentrer au centre et qui, malheureusement n’ont même pas pu y rentrer. Tout un système d’accompagnement qui disparait du jour au lendemain, en un claquement de doigts.

On est là, on se regarde, on n’a plus de sens, plus de but. On n’a plus rien. On pense aux jeunes joueurs qui n’ont n’y sont pour rien, alors, nous aussi,, mais eux, ils sont innocents et il faut qu’ils rebondissent. On est sortis des Girondins même pas par la petite porte. Tout le monde dehors.

Selon vous, la formation bordelaise peut-elle se relever ?

La formation bordelaise aurait pu gagner du temps si on avait su avant. Car les décisions stratégiques n’ont été prises que par une toute petite minorité. Si les personnes compétentes avaient été alertées, on aurait pu mettre des choses en place, on aurait pu réfléchir à des options pour ne pas tout détruire. Là, on a complètement rasé, on dirait une chimiothérapie. Tout a été rasé.

Et je pense qu’en réfléchissant un peu avec les personnes concernées et compétentes, on aurait pu perdre moins de temps. Maintenant, il ne faut plus perdre de temps. Il y a des éducateurs qui sont restés, d’autres personnes sont revenues. Notamment Jean-Louis Triaud, c’est quand même une bonne garantie, je pense, au niveau de l’association. Mais il faudra être patient.

Nathan Hanini