La direction des Girondins perd la bataille d'influence

06/07 - 12:29 | Il y a 4 ans
La direction des Girondins perd la bataille d'influence

© Iconsport

Jamais dans sa longue histoire, les Girondins de Bordeaux n’ont connu pareille situation. Entre un actionnaire sur lequel il est difficile de mettre un visage, un président délégué totalement démonétisé auprès de l’écosystème bordelais et des finances catastrophiques, le club traverse depuis près de deux ans et son rachat par GACP puis King Street, une zone de turbulences dont il est difficile d’imaginer la fin. 

Les Ultramarines déploient leur stratégie

En mobilisant depuis plusieurs mois anciennes gloires du club, partenaires et politiques, les Ultramarines ont mis en place une stratégie d’influence qui relève d’un lobbying actif sur lequel l’équipe dirigeante actuelle devrait s’appuyer. Souvent décrié car appréhendé en France à l’aune de la représentation d’intérêts allant à rebours du bien commun, le lobbying s’applique pourtant à la défense de l’intérêt collectif. C’est justement ce que font les pensionnaires du virage sud depuis maintenant plus d’un an, dans une logique visant à défendre l’institution des Girondins à travers une notion totalement occultée par les dirigeants actuels, celle du sentiment d’appartenance dans une approche territoriale.

La direction des Girondins se coupe de la base

Si l’idée d’exporter la marque « Bordeaux » grâce à sa notoriété internationale, apparaît comme une démarche cohérente, la stratégie mise en place par l’équipe dirigeante a rapidement montré ses limites. Pour preuve, l’échec de l’approche « glocal » - comprendre partir du local pour s’exporter au global – qui était inévitable du fait du manque de dialogue auprès du principal groupe de supporters, mais aussi et surtout de la mise en place de politiques incompréhensibles au regard des objectifs visés. Comment en effet renforcer et développer un sentiment d’appartenance à l’institution au niveau régional en appliquant des partenariats tarifés auprès des clubs amateurs de la région ? Comment vouloir s’inscrire dans une histoire en se passant de ceux qui l’ont écrite, à savoir les joueurs emblématiques issus du cru, clairement identifiés au club comme Alain Giresse ? Comment enfin espérer disposer d’un certain crédit auprès de l’écosystème dans lequel on souhaite s’inscrire sans nouer de relations pérennes avec celui-ci ?

Cette stratégie d’influence n’a jamais trouvé écho auprès des nouveaux propriétaires du Haillan, dont la plus terrible erreur aura été de se couper de la base et de sous-estimer son pouvoir de nuisance. Idem en ce qui concerne les relations avec le personnel politique local et ce, à quelques mois des élections municipales. Toute personne exerçant dans les métiers de l’influence le sait : pour donner du sens à une action qui s’inscrit dans une démarche territoriale, se passer des entrepreneurs, chefs d’entreprises et autres politiques est une erreur à ne pas commettre. 

La mairie en opposant

De fait, si Bordeaux ne dispose pas du climat sulfureux marseillais, force est de constater que le club fait néanmoins partie du patrimoine de la ville, comme l’a régulièrement rappelé l’ancien maire Nicolas Florian. Sans devenir un enjeu crucial des municipales, il y a fort à parier cependant que la situation actuelle du club et les prises de position de chacun des candidats ont été scrupuleusement scrutées à la loupe par les administrés qui sont aussi des supporters. Le candidat Pierre Hurmic l’a d’ailleurs peut-être mieux compris que quiconque, lui dont les déclarations cinglantes à l’encontre des propriétaires n’ont pas manqué de faire réagir dernièrement les syndicats Première Ligue et l’Union des clubs professionnels de football (UCPF). Si ces dernier ont dénoncé - à juste titre - une « ingérence dans la vie de ce grand club de football (qui) est totalement inacceptable aussi bien dans le fond que dans la forme », la sortie du nouvel édile a au moins eu le mérite de rappeler certaines vérités trop souvent sciemment ignorées par les équipes de Frédéric Longuépée. 

Si l’immiscion du politique dans la vie du club et de la gestion de ses propriétaires – acteurs privés – peuvent en effet interroger, c’est oublier cependant que la mairie aide le club et est partie prenante de son développement et de son rayonnement. On rappellera ici que la ville est propriétaire du Château du Haillan ou encore le partenariat public-privé entre la ville de Bordeaux et la société « Stade Bordeaux-Atlantique » (détenue à parts égales par Vinci et Fayat). Infrastructure pour laquelle la municipalité a injecté au passage 17 millions d’euros pour la construction.

On ne s’étonnera donc pas que lorsqu’il était encore maire, Nicolas Florian ait souhaité « s’impliquer personnellement » dans le dossier au mois de mai, au moment où le conflit entre les Ultramarines et la direction prenait une nouvelle tournure suite à la divulgation des leaks de la part du principal groupe de supporters et les menaces de poursuite judiciaire brandies par le club à leur encontre. Conscient que « l’image du club et de la ville commence à être sérieusement dégradée », l’ancien locataire du palais Rohan avait largement désavoué le président Longuépée, en annonçant vouloir rencontrer directement le propriétaire King Street pour connaître ses intentions et, s’il « choisit de vendre, (vouloir) travailler avec lui pour trouver un repreneur et arriver à une gouvernance plus sereine ». 

Preuve encore une fois que les échanges et contacts réguliers avec les acteurs politiques locaux est un prérequis nécessaire pour s’inscrire dans une histoire où l’affect joue un rôle prépondérant. Le règne du Bordeaux de Claude Bez sur la France du football n’aurait très certainement pas été ce qu’il fut sans l’appui de Jacques Chaban-Delmas. Les vingt années de présence de M6 n’auraient probablement pas été aussi calmes et bénéfiques pour l’ensemble des parties sans une relation sereine entre Nicolas de Tavernost et Alain Juppé.

Avec désormais comme maire de la ville Pierre Hurmic, les représentants de King Street savent que celui qui préside aux destinées de la collectivité est un de leur opposant historique. Une situation kafkaïenne qui sonne comme une conclusion logique d’un feuilleton mal débuté où l’illisibilité de la stratégie d’influence se paye aujourd’hui très cher. Délégitimé auprès des partenaires et des supporters, le président Longuépée se retrouve avec un interlocuteur politique qui, la veille de son élection, manifestait son mécontentement avec ses plus fidèles opposants. 

Dans cette bataille d’influence, c’est donc bien la classe dirigeante qui a perdu la première manche, complètement dépassée par des supporters qui ont su faire preuve d’un véritable lobbying auprès des bons interlocuteurs. Pas mal pour un groupe de seulement « 10 ou 15 personnes ».

P-H P

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