Exclu - Thomas (Luke) : « Feindouno qui nous donne le titre, j’en ai pleuré »

26/11 - 06:02 | Il y a 9 ans

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Le groupe Luke se produisait mardi 23 novembre au Rocher de Palmer à Cenon. Quelques heures avant le concert, Thomas Boulard le leader bordelais historique du groupe de rock, a parlé des Girondins de Bordeaux pour WebGirondins. Le régisseur, tout sourire, annonce la couleur au moment de venir me chercher : « Il est super content de faire l’interview, franchement il attendait avec impatience ». Thomas, amoureux passionné des Girondins, confirme dès les présentations : « ça me fait super plaisir de faire cette interview. J’en ai parlé à tout le monde dans l’équipe ». De quoi parler Girondins mais aussi philosophie du football pendant 45 bonnes minutes, le temps d’une belle mi-temps de foot.
 

Première partie de l’interview : L’historique de supporter de Thomas Boulard, son rapport au football et aux Girondins. 
 

WebGirondins : Bonjour Thomas. Peux-tu nous retracer l’historique du groupe Luke ?

Thomas Boulard : Bonjour. L’entité Luke existe depuis 1998. À l’époque je venais d’arriver à Paris, et j’ai rencontré énormément de gens qui faisaient du home studio. J’ai commencé à travailler avec des musiciens en appartement, parce qu’on n’avait pas les moyens de pouvoir faire de la musique acoustique. Après, on a été signés par le Village Vert qui est un label indépendant, on a pu faire le premier album avant de passer chez BMG. Par la suite, on a sorti l’album « La tête en arrière » en 2004 qui s’est énormément vendu et qui a touché le grand public. À mon grand étonnement parce que c’était imprévisible. Quand tu es jeune, que tu es à Paris, tu es plein d’idéaux, tu n’as pas une vision lucide de tout ça. On était signés, on faisait des concerts, c’était déjà extraordinaire. Je voulais faire un disque qui était fait pour les concerts, et c’était « La tête en arrière ». On a tourné beaucoup, fait des dates, sorti des albums, et on a sorti un dernier album le 9 octobre qui s’appelle « Pornographie ». On a commencé en 1998 et on est en 2015, ça fait déjà beaucoup pour un parcours musical, c’est déjà super.

WebGirondins : Un groupe de musique c’est un peu comme une équipe de foot, j’ai pu le constater en descendant dans la salle de répétition avec vous. C’est quoi la recette pour bien jouer ensemble et faire un bon championnat ?

Thomas Boulard : Il faut un bon 10 ou un bon 9. Si tu joues en Italie c’est un bon 9, si tu joues en France c’est un bon 10. Il faut un leader, un mec qui donne une direction très forte. Qui influe sur le style de jeu, qui a une vision tactique, qui a la vista, qui voit avant les autres, et qui voit où les autres sont placés. Souvent en interview j’ai très souvent dit, c’est d’ailleurs ce que disait Reynald Denoueix : « un joueur ça coûte cher. Le lien entre deux joueurs ça n’a pas de prix. » Et en musique c’est la même chose, les automatismes entre deux musiciens c’est sans prix. C’est très compliqué à obtenir et pas forcément prévisible. C’est à dire que tu peux croire que ça va le faire, mais c’est en jouant souvent ensemble que tu vas te rendre compte si ça va matcher ou pas. Ça demande de jouer beaucoup pour prévoir ce que l’autre va faire et pour que les choses se fassent naturellement. Pour le coup, il y a des sensations en musique, et quand les joueurs de foot parlent de sensations sur le terrain, c’est exactement la même chose pour nous. Quand on sort d’un concert, on ne dit jamais qu’on a fait un bon concert, mais on dit des choses comme « on a l’impression qu’on a fait un bon concert, on s’est bien sentis, on était synchros ». Quand on parle de notre tactique, je résume, mais ça peut donner : « on avait décidé de jouer très fort à ce moment, plus bas à cet instant », un peu comme une équipe qui aurait prévu de déborder et de centrer au deuxième poteau. La métaphore est très parlante. D’ailleurs, on reconnaît dans une équipe de musiciens ceux qui ont pratiqué des sports individuels et des sports collectifs comme le football. Ces derniers ont une notion d’aller plus loin ensemble. 

WebGirondins : Les Girondins, parlons-en, depuis quand les supportes-tu ? Comment es-tu tombé dans cette passion du club au scapulaire ? 

Thomas Boulard : Tout petit j’ai fait du foot. Je jouais à l’ASS Caudéran quand j’avais 8-9 ans donc en 1982-1983 dans ces eaux là. J’étais le meilleur buteur de mon club. D’ailleurs, tu pourras regarder dans le livret du premier album « La vie presque », il doit y avoir une photo de moi en train de marquer un but petit. Ce sont des souvenirs formidables. Du coup, forcément, je supportais les Girondins, et puis, faut voir l’époque… Un ami de ma mère, fan de foot m’amenait au stade, parce que mon père travaillait beaucoup le soir et ne pouvait pas le faire. Je me rappelle de Bordeaux-Sochaux ou Bordeaux-Nantes d’anthologie. J’allais beaucoup voir les matchs de D1 et de Coupe de France. C’était l’époque du sponsor Malardeau, l’époque Claude Bez, une époque bénie. Toute la section bordelaise était en Équipe de France. C’était l’époque Tigana, Giresse, Lacombe, même Marius Trésor. On a construit l’Équipe de France de cette époque. J’ai un souvenir du Championnat d’Europe des Nations (ex Euro) où Tigana fait une compétition de feu après une saison moyenne à Bordeaux et quand il rentre à Bordeaux, Claude Bez l’engueule comme il faut. J’ai des souvenirs très précis comme ça. Je suis supporter bordelais depuis cette époque. J’ai laissé un peu de côté vers 1996 quand je suis parti faire ma musique à Paris, j’étais dans un autre truc. La génération Dugarry, Zidane, c’était un peu entre parenthèses, même si j’ai revécu des choses avec l’épopée de 1996. Et à partir du moment où j’ai signé mes albums et que j’ai commencé à faire des tournées, qu’on faisait beaucoup de camion avec des gens qui parlaient de foot, je m’y suis remis. Je me suis rendu compte que ça sommeillait et que j’aimais ça. Du coup, j’ai revécu le foot et les Girondins de 2000 jusqu’à maintenant. Ces dernières années je suis à fond, parce que le foot me repose. 

WebGirondins : Quel est ton souvenir le plus intense émotionnellement en rapport avec les Girondins ?

Thomas Boulard : Feindouno qui marque à la dernière minute le but du titre à Paris en 1999, c’est quand même quelque chose. En plus je suis à Paris à ce moment-là. Je ne suis pas au stade ce soir-là. À l’époque je n’avais pas les moyens, et pas les réseaux non plus pour avoir des places. J’étais en voiture et j’écoutais le match. Les Parisiens te disent de mauvaise foi qu’il ont fait exprès de perdre parce qu’ils ne voulaient pas que Marseille soit champion, c’est insupportable. Mon ingénieur du son n’arrête pas de me dire ça, je le hais (rires). Bref, ce but à la fin, j’en ai pleuré. Encore plus parce que j’étais à Paris, que j’écoutais le match de façon fragmentée sur différentes stations de radio. Je me souviens que je rentre chez moi, j’allume mon poste de radio qui marchait à peine et qu’il fallait relancer, et j’entends que Feindouno vient de marquer. Je suis à genoux dans mon petit 15 mètres carrés. Et là j’explose, je vais faire la fête le soir et je retrouve des Bordelais à Paris pour fêter ce titre.

« Je défends Bordeaux corps et âme »

WebGirondins : Quelle est ta réaction la plus rock devant un match de foot ?

Thomas Boulard : Ma réaction rock, c’est de faire comme au rugby : applaudir l’adversaire avec fair-play. C’est ce que je fais quand je vais voir un match, même si je suis de mauvaise foi. J’applaudis les beaux gestes défensifs de l’adversaire, même si c’est contre mon équipe. Je rêve d’un public rugbystique au foot, c’est à dire un public de connaisseurs qui connaît parfaitement les règles, qui respecte l’arbitre. J’aimerais également qu’on applique le fait que seul le capitaine puisse parler à l’arbitre. Et j’aimerais qu’on reconnaisse le beau jeu, même s’il vient de l’adversaire. 

WebGirondins : Lorsque vous partez en tournée, vous parlez toujours des Girondins ?

Thomas Boulard : Non, on parle de nos clubs respectifs. Dans le camion, dès qu’on rentre, c’est le débriefing. On fait le point sur les matchs qui ont eu lieu, sur ceux qui vont avoir lieu, sachant que personne n’est objectif car il y a quatre clubs qui sont défendus : Rennes pour Cyril qui est au clavier, Nico qui s’occupe de l’éclairage c’est Marseille, l’ingénieur du son c’est Paris et moi Bordeaux. Je défends Bordeaux corps et âme. Et quand on est supporter des Girondins ont doit assumer que Bordeaux n’ait que la 11eme place pour ambition. Ça nous rend encore plus énervé, encore plus de mauvaise foi, et encore plus supporter. On s’embrouille tout le temps entre nous niveau foot, mais c’est le jeu et c’est surtout très drôle. Mais on ne s’embrouille que si nous avons des arguments forts et de vrais débats.

WebGirondins : Est-ce que tu as eu l’occasion avec ton métier de nouer des liens d’amitié avec des joueurs de foot ? Ou est-ce que vos mondes sont trop différents ?

Thomas Boulard : Disons qu’on n’est pas assez grand public pour que les joueurs de foot nous connaissent. J’ai quand même noué contact avec Johan Micoud qui est un fan de rock, qui a créé un label, et nous avait demandé de faire un morceau pour une compilation sur le foot. J’ai donc fait ce morceau, on s’est rencontrés plusieurs fois, et on est restés en contacts. C’est quelqu’un de très gentil, que j’apprécie beaucoup. On a d’ailleurs fait une interview tous les deux pour le magazine « So Foot ». C’était un face-à-face foot et musique. Et puis c’était un sacré joueur de foot, sélectionné une quinzaine de fois sous l’époque Zidane. Ça veut dire ce que ça veut dire.

WebGirondins : Quand on regarde un match avec les mecs de Luke, ça donne quoi ?

Thomas Boulard : Tu sais que lorsqu’on enregistrait en studio, il y avait la Coupe du Monde au Brésil, alors on achetait les albums Panini et on s’échangeait les vignettes comme à l’époque. On se faisait des pronostiques, mais on était très mauvais. Et donc quand on regarde des matchs, moi je suis très très expressif. Je hurle beaucoup. Je me moque beaucoup. Pour moi c’est un moment de mauvaise foi et d’exutoire. Par contre je ne manque jamais de respect. Je ne suis jamais grossier, on peut voir un match avec des enfants autour ce n’est pas un problème. Par contre quand on marque… J’explose ! 

 

Retrouvez demain la deuxième partie de l’interview de Thomas Boulard du groupe Luke. Au programme : l’actualité des Girondins, l’image du club, son ambition ou encore le Matmut Atlantique dont le nom n’est pas dans le coeur du musicien bordelais… Une deuxième partie riche en couleurs.

Interview réalisée par Florian Rodriguez

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