Calais-Bordeaux : Histoire d’un cauchemar

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Saveljic : « Mon pire souvenir aux Girondins »
Guerrier sans peur, Nisa Saveljic a gardé un sentiment particulier de cette demie perdue à Lens. Presque un traumatisme. Ce qui n’empêche pas le défenseur serbe de ne pas mâcher ses mots sur les raisons de la défaite.
« Oh là là, je me rappelle de ça ! C’était fou. Je rigole parce que je me rappelle Christophe Dugarry, au retour dans l’avion, il me dit ‘’Nino, je respecte les gars de Calais, mais on a perdu contre des gens qui vendent des croissants !’’ (Il rit.) On a perdu combien déjà ? 3-2 ? 3-1 ? C’est fou ! Après, c’est un miracle pour eux… Ce n’est pas qu’on n’était pas motivés. Sincèrement, on était motivés. Mais ils ont très bien joué, dans un délire (il parle du stade). Ils ont bien joué, avec pas mal de réussite, quand même. Des frappes de fou, des supers buts. Ils ont gagné le match comme cela. C’est très triste. Parce que si on va en finale, on la gagne face à Nantes.
Calais, c’est mon pire souvenir avec les Girondins. Pire que Parme, où il y a eu des trucs bizarres (défaite 6-0 en quarts de Coupe UEFA 1999). Ça n’a rien à voir. (Il réfléchit.) Peut-être que certains chez nous ont un peu sous-estimé Calais. On jouait quand même la Ligue des champions, on avait remporté le titre l’année d’avant. Ce n’est pas évident de se retrouver face à une équipe comme ça. Et dans un stade comme ça. L’ambiance était remarquable. Normalement, jouer dans un stade comme ça (à Bollaert), un grand stade de Ligue 1, ça aurait dû être un avantage pour nous, pas pour Calais. Mais le public a tellement poussé ! Nous, en défense, on était très motivés, mais peut-être qu’au milieu et devant, certains joueurs étaient un peu frustrés de la situation. ‘’Duga’’, par exemple, il ne pensait pas que le match aurait un scénario comme ça.
Chacun ses sensations dans un match, comment il fonctionne, sa volonté, ça peut avoir une influence. Ce n’est pas avec cinq joueurs que tu peux t’en sortir, même face à des amateurs. Pour moi, au milieu, on n’était pas là. Les Calaisiens ont commencé à faire plein de courses, ça partait dans tous les sens. On s’est mis à beaucoup trop subir. Derrière, ce n’était pas évident pour nous les défenseurs. Je me souviens aussi que j’ai eu une occasion à la fin, de la tête. Je touche la barre. Avec le recul, peut-être qu’on avait mal préparé la rencontre, parce que, quand même, Calais, ce n’était même pas de la troisième division. C’était de la Régionale, non ? Quatrième division ? Oh là, vous imaginez ! (Il ricane.) Ils avaient des crampes, les joueurs de Calais. Logique, ils avaient joué comme des fous. Je n’avais jamais vu ça. C’était incroyable ! Pourtant, on avait analysé leur jeu, le coach Elie (Baup) avait préparé la rencontre comme il faut. Il nous avait dit clairement de nous méfier avant la demie. ‘’Attention, ils ont éliminé des équipes de Ligue 1 et de Ligue 2’’. Mais ça ne suffit pas toujours. »
Hogard (Calais) : « Ce n’était pas un hold-up ! »
Lui, c’était l’aboyeur, le « chien », comme il le dit lui-même. L’âme de cette équipe de Calais 2000 capable de tous les exploits. Le milieu Christophe Hogard se souvient de cette soirée qui a changé sa vie, et celle de tout un peuple, au détriment de Girondins qu’il admire encore aujourd’hui, à une exception près…
« Cette demie, ça reste une claque pour Bordeaux, mais c’est aussi le match qui nous a mis sur le toit de la Tour Eiffel. C’était tellement impossible de deviner qu’on allait gagner quand les Girondins ont égalisé pendant la prolongation ! Tout le monde s’est dit qu’on allait avoir un coup de pompe, et je le comprends. Après tout, on était contre les champions de France, et nous, on arrivait de nulle part. Les exploits qu’on avait réalisés jusque-là, on pouvait les relativiser : on avait battu deux équipes de Ligue 2 aux pénos (Lille et Cannes), et une équipe de Strasbourg qui n’avait pas un statut de fou en L1. C’était des mini-exploits. Pour une CFA, c’était assez énorme, mais là, c’était le grand soir. En face, il y avait Dugarry, Laslandes, Legwinski, Saveljic… Pas des enfants de chœur.
Pendant la prépa, Lozano (le coach de Calais) nous avait dit qu’il ne fallait pas occulter qu’on pouvait aussi en prendre dix ! Mais on était tellement propulsés, tellement sur une vague qu’on n’a pas pensé à tout ça. On était aussi super bien préparés sur le plan physique, c’est d’ailleurs pour ça qu’on a tenu pendant la prolong. Notre chance, c’est que Wiltord est en conflit avec le club et n’est pas là, que Pavon se blesse à l’échauffement, et qu’ils sont arrivés un peu à la coule, en se disant que ça allait le faire quand même. D’ailleurs, pendant dix-vingt minutes, ils sont faciles. On n’est pas dedans, on les regarde. Moi y compris. Je courais partout, je me demande même si Lozano n’a pas pensé à me sortir tellement c’était n’importe quoi. Mon but, c’était de récupérer le maillot de Dugarry pour ma cousine qui était dingue de lui.
Pour nous, le match a vraiment démarré au bout d’un quart d’heure, quand je prends un énorme tampon de Legwinski au milieu du terrain. Je fais un soleil, je retombe sur le dos, et là, tous les potes calaisiens viennent, ça chauffe. On s’est tous dit ‘’ah ouais, d’accord, à partir de maintenant, on va arrêter de vous respecter’’. C’est là que le match a vraiment démarré pour nous, qu’on s’est mis en mode guerrier. On a mis le bleu de chauffe, on a été agressifs dans le bon sens du terme, et on les a rendus fous. On a eu des situations, on a existé, ce n’est pas comme si on les avait attendus tout le match. Cette victoire, ça n’a pas été un hold-up ! On a eu ce petit supplément d’âme qui nous a permis d’exister face à une grande équipe. Quand, à la fin du match, un mec comme Stéphane Ziani vient donner son maillot dans le vestiaire en guise de respect, ça dit beaucoup. Pareil pour Laslandes.
Finalement, y a que Dugarry qui n’a pas été à la hauteur. Il a chouiné tout le match, ‘’M’sieur Garibian (l’arbitre), le 4, le 6, le 8, ils n’arrêtent pas…’’ Une vraie pleureuse. C’est le seul point noir de la soirée. Tout le reste a été magique. Franchement, quand tu tapes Bordeaux champion de France, tu ne peux pas rêver mieux ! »
Arnaud Tulipier
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Réédition article du 15 avril 2025.