Entretien - Alexandre Torres : sa vision du métier d’entraîneur, son œil sur les Girondins, et Albert Riera

08/02 - 14:20 | Il y a 3 mois
Entraîneur professionnel de football et diplômé, le natif de Bordeaux Alexandre Torres (45 ans) a répondu aux questions de WebGirondins. Entraîneur à Lège-Cap-Ferret, au Stade Bordelais et à Borgo en National, il sort d’une expérience d'entraîneur adjoint au PAU FC, en charge du groupe Élite. Il aborde avec nous les particularités du métier de coach, pose son œil sur les Girondins de Bordeaux et le travail d’Albert Riera. Entretien.
Entretien - Alexandre Torres : sa vision du métier d’entraîneur, son œil sur les Girondins, et Albert Riera

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Nous vous proposons en bas de page le podcast de cet entretien avec une question bonus.

WebGirondins : Alexandre, vous avez quitté le Pau FC en fin d'année 2023, quelle est votre actualité aujourd'hui ?

Je suis consultant comme responsable technique pour la société Footbar qui a pour vocation de révolutionner la data dans le foot, avec un capteur connecté d'optimisation de la performance. En parallèle, je suis toujours en recherche d’un projet dans un club pro en France ou à l'étranger dans lequel je pourrais mettre en œuvre ma méthode de travail.

Footbar dont l’un des cofondateurs est Stéphane Martin, ancien président des Girondins de Bordeaux

Oui, exactement avec Jacques D’Arrigo. Footbar se développe fortement avec l'arrivée de nouveaux investisseurs comme Raphaël Varane. Il se développe vers le public licencié, mais aussi non licencié.

"Bien jouer c’est faire ce que le jeu demande"

 

Pour vous, bien jouer au football c’est quoi ? Nous avons le sentiment que les attentes ne sont pas les mêmes d’un entraîneur à l’autre.

C'est ce qui fait la beauté du jeu. C’est le jeu le plus libre et le plus incertain. Pour moi, bien jouer c’est faire ce que le jeu demande. Une équipe qui joue bien est capable d’imposer son jeu à l'adversaire, mais aussi de s'adapter. De temps en temps, il faut être capable de faire 1000 passes pour marquer un but, et de temps en temps il faut juste faire un contre pressing, ou jouer un long ballon pour profiter de l’espace laissé par l'adversaire. Capable de jouer très haut, car le jeu le demande ou jouer très bas, car le jeu le demande et que nous ne pouvons pas faire autrement. Les équipes qui jouent bien et qui sont performantes sont des équipes qui maîtrisent tout, dans lesquelles les joueurs sont formés pour s'organiser tout seuls et reconnaître dans le jeu les éléments qui sont des opportunités pour marquer un but.

Avez-vous évolué dans votre approche du jeu depuis votre prise de poste à Lège-Cap-Ferret jusqu'à l'expérience au Pau FC ?

Les clubs où j’ai évolué sont des clubs dans lesquels il faut être en perpétuelle adaptation et en recherche de solution. Ce sont des clubs qui nécessitent une grosse polyvalence, j’ai évolué dans ce domaine. C’est là où j'apporte ma valeur ajoutée d'entraîneur, ma créativité. Cette créativité s'est développée dans toutes ces expériences où nous étions sans arrêt en éveil pour trouver des solutions aux problèmes qu’on rencontrait.

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Alexandre Torres avec Borgo (National)

Comment s'exprime la créativité chez un entraîneur ?

Au quotidien à l'entraînement par la conception et l'animation des séances que l’on peut faire. Les joueurs ont sans arrêt besoin d’être mis en éveil, d'être mis dans des situations qu’ils vont rencontrer en match. C’est au coach et au staff d’être capables de concevoir et d’animer des séances variées qui les mettent face à leurs responsabilités de jeu. On doit être créatif, car il n’y a pas de recette miracle. En match, on a beau avoir tout prévu, on ne sait pas ce qu’il va se passer. La créativité s’exprime aussi pendant les rencontres pour réagir à l’instant, et aussi dans la capacité à répondre immédiatement aux problématiques qui se posent pour y apporter des solutions.

Elie Baup nous avait dit dans un entretien que les décisions en cours de match étaient plus importantes que la préparation d'avant-match. Qu’en pensez-vous ?

C’est très important de savoir s'adapter en match. Les joueurs savent répondre eux-mêmes et trouver des solutions sur tout quand le niveau monte. On voit qu’entre la Ligue 1 et les niveaux en dessous, il y a de grosses différences. Je suis complètement d’accord avec ce que dit Elie Baup. Après, on est de plus en plus orienté data, on fait des réunions de scénarios, des briefs de scénarios sur les événements possibles en match. Ce sont des données qui doivent être prises en compte pour nous permettre d’optimiser les décisions qui seront prises, et faire les bons choix.

L'entraîneur doit être très réactif, c’est une vraie gymnastique

Oui, il faut être capable de décider selon toutes les sommes d’informations que nous avons rassemblées auparavant, et aussi être capable de suivre ces informations ou pas. C’est ce qui fait la qualité des grands entraîneurs.

C’est une gymnastique mentale à pratiquer, les coachs s'entrainent-ils à ça ?

C’est un vrai métier. La fraîcheur est très importante, le travail en staff, avec la façon de collaborer, doit aussi permettre au coach numéro 1 de garder une part de fraîcheur. On lui demande de manager des talents durant la semaine, et surtout de prendre de bonnes décisions pour être performant. Pour cela, il faut être frais, détendu et être capable de prendre la décision au bon moment.

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Alexandre Torres en point presse

Que pensez-vous du fonctionnement du football en Gironde ? Quel est votre regard ?

J'ai longtemps travaillé dans le football girondin. Le foot girondin est un foot qui évolue avec peu de moyens par rapport à ce qui peut être fait dans d'autres régions, même au niveau amateur, et avec un faible niveau de structuration. Ce qui oblige les acteurs locaux a beaucoup d'effort et de polyvalence pour se mettre à niveau. On est un peu les parents pauvres du foot amateur par rapport à la Bretagne, la région parisienne, même PACA. Quand on veut voir du foot de bon niveau en Gironde, il faut souvent faire pas mal de kilomètres, c’est dommage. J'ai œuvré longtemps à ce développement, mais on attire peu de monde. On se retrouve vite tout seul quand les résultats sont compliqués.

Vous avez récemment connu le football corse avec Borgo en National, quelle est la différence entre le football girondin et le football corse ?

La passion, la passion. Il n'y a pas de concurrence d’autre sport ou très peu en Corse. Les garçons jouent au foot, les filles jouent au foot. Quand il y a un match le week-end, tout le village vient. Il y a toujours un club corse qui monte en N3. Ils ont une base de joueur en N3 qui est importante.

Quel est votre rapport aux Girondins de Bordeaux ?

J'aime bien rappeler que j'étais de ceux qui ont dormi devant le stade pour avoir des places pour le match Bordeaux AC Milan dans les années 90 (1996, NDLR). C’est le club de ma région, pour lequel j’ai fait des kilomètres, des nuits blanches et que j’aime beaucoup.

"On veut une équipe ambitieuse pour remonter, mais des cadres sont vendus"

 

Avec le prisme des Girondins, quand l'entraîneur arrive dans un club doit-il s’adapter à l’identité du club ?

Tout d'abord, j'ai coutume de dire que la réussite d‘un projet c’est la relation que peut avoir un entraîneur avec sa hiérarchie, son président. La locomotive du projet est cette relation binôme ou trinôme quand il y a un directeur sportif. C’est comment on fait les choses, ce qu'on me dit, comment on s’organise et on avance main dans la main. Là, sur le projet des Girondins, il a des questions sur la pérennité de la gouvernance de ce projet qui fragilise le truc. Avant de parler de David Guion et d’Albert Riera, c’est qu’elle est la définition du projet qu’on met derrière les Girondins de Bordeaux actuellement ? On veut une équipe ambitieuse pour remonter, mais des cadres sont vendus. Cela ne permet pas de s’autoriser des erreurs de recrutement. On veut des jeunes au cœur du projet, mais on ne supporte pas quand ils ratent. On a l'impression qu’on veut juste les montrer pour les vendre. Je ne me souviens pas d’une époque ou il y avait un vrai projet de formation aux Girondins. Un projet, ça ne s’improvise pas. Avant de parler des coachs, il y a cette dimension à clarifier. Une fois que ce sera clair, il y a plus de chance de choisir le bon coach, et d’avancer dans le projet.

Cela veut dire qu'un coach qui arrive à Bordeaux aujourd'hui c’est une part de risque pour lui ?

Oui, mais c’est difficile de refuser les Girondins de Bordeaux. Albert Riera arrive de Slovénie, c’est un jeune coach, c’est une sacrée promotion. C’est difficile de refuser les Girondins de Bordeaux.

"Le principal problème des Girondins est la définition du projet"

Albert Riera a tenu un discours très marqué sur le jeu et ses attentes, que pensez-vous de ses débuts aux Girondins ?

Déjà je ne veux pas tirer sur l’ambulance. Ils ont besoin de soutien, et il faut penser que c’est encore possible de monter en créant une dynamique. Ils sont capables d'aller arracher les playoffs pour la montée.

Sa situation est due à ce qui s’est passé avant. La fin de saison passée a laissé des traces. Il y avait une forme d’usure chez David Guion à cause de l'issue de la saison dernière. Cela a laissé beaucoup de traces dans le club et cela a été difficile de repartir.

Albert Riera ne fait pas beaucoup mieux que David Guion sur le plan des résultats purs. De l'extérieur, je me pose la question du diagnostic. Avait-il bien diagnostiqué le niveau des joueurs, du championnat, des adversaires ? On avait envie de le suivre en l'écoutant. Quand on veut construire, d’abord on va à l'essentiel et ensuite on développe son projet. J'ai l’impression qu’il a fait l’inverse en commençant par le toit. Aujourd'hui, il se trouve dans une situation d'urgence, et c’est plus difficile de répondre aux attentes quand on a commencé par le toit.

"Il faut être aligné et faire ce qu’on dit"

Est-ce qu’avoir la possession c’est bien joué au foot ? (rire)

J'y ai répondu au début. Ça dépend. Je trouve ça bien d’avoir des convictions. La possession ne doit pas être stérile. Les Girondins sont au rendez-vous sur la possession, sur les xG, mais dans les derniers mètres ils ne sont pas là où ils le souhaitent. Mais le principal problème des Girondins est la définition du projet. C’est un problème d’alignement entre ce qu’il dit et ce que les gens voient. J'aime quand on dit les choses sans sur positivisme. Il dit qu’il protège les joueurs, mais il ne les protège pas, car en le disant il met le problème sur eux. Ses échanges avec le coach bastiais sont aussi par exemple. Il y a un souci d’alignement qui n’est pas acceptable par la plupart des gens. Il faut être aligné et faire ce qu’on dit.

Comment un entraîneur peut-il redonner confiance aux joueurs ?

Je vais parler de ma méthode de travail. Il faut être légitime et être exemplaire entre ce que je dis et ce que je fais. Ensuite, les joueurs ont besoin de se sentir en liberté et en confiance. Cela passe par un cadre fort à l’entraînement. Un cadre c’est rassurant. Il faut multiplier le travail en petit groupe, en spécifique. Le staff a une place importante. Les joueurs ont besoin de repères, et d’un plan de jeu avec de la continuité. Ça aide à la performance. Il y a plein d'exemples : Manchester City, Aston Villa, Auxerre.

Faut-il mettre une identité de jeu précise à Bordeaux pour être en phase avec l'environnement, l'histoire du club ?

Dans l’évolution du foot actuel avec l’arrivée des nouveaux propriétaires qui sont des fonds de pension, des États ou d’autres types d'actionnaires, la notion de territoire est ultraimportante. Les gens ont besoin de s’identifier à leur club, et pour cela ils ont besoin d'avoir des gars du coin. Je sais que les Girondins travaillent à ça, pour moi c’est essentiel. Dans un effectif, il y a 16-17 joueurs qui partagent 80 à 90% des temps de jeu. Derrière, on doit être capable de former des joueurs locaux qui donnent une identité de territoire et qui donnent aux fans l’envie de les soutenir. Dans l'histoire des Girondins de Bordeaux, les grands joueurs qui ont compté au club, il y a beaucoup d’Aquitaines.

Quelles sont vos sources d’inspiration dans l’exercice de votre métier ?

Je lis beaucoup, je suis beaucoup sur internet à chercher des sources d’inspiration. Je ne suis pas fan de foot à la télé, mais il y a des coachs qui apportent quelque chose. De Zerbi avec Brighton, Emery avec Aston Vila cette année fait des choses folles dans l’adaptation à l’adversaire, le projet toulousain avec la data est super intéressant aussi. Il y a des choses à prendre chez tout le monde. Mes sources d’inspiration sont diverses. Je lis un bouquin sur la performance qui est fantastique, c’est François Bigrel : “La performance humaine à la recherche du sens”.

Que pensez-vous de l'utilisation des 5 changements dans le football, j’ai l’impression qu’il n’y a pas de gros bouleversement ?

Il y a quelques années dans le livre blanc de la fédération, Frederic Antonetti proposait en plus des 3 changements de faire 2 ou 3 changements à la mi-temps. Je trouvais cela intéressant pour modifier la coloration de l’équipe en cours de match. C’était une idée intéressante. Concernant les 5 changements, on peut peut-être dire qu’il n’y a pas assez d’évolution, mais quand je vois Le Havre jouer, on sent une volonté d’apporter une vraie couleur d'équipe en fonction du score du match.

N.P

Le podcast de cet entretien à écouter ici :