ENTRETIEN. Nisa Saveljic : "Il faut nettoyer la maison Girondins de Bordeaux"

30/04 - 17:00 | Il y a 6 heures
Très ému lorsqu’il parle de SES Girondins de Bordeaux, l’ancien défenseur du titre de 1999 Nisa Saveljic ne mâche pas ses mots quand il évoque les responsabilités de ceux qui ont amené son club de cœur dans la panade. Pour lui, il faut tout reprendre de zéro.
ENTRETIEN. Nisa Saveljic : "Il faut nettoyer la maison Girondins de Bordeaux"

© Iconsport

WebGirondins : Nisa, vous êtes né au Monténégro, vous avez évolué dans cinq clubs français différents, pourtant, votre nom est attaché à celui des Girondins. C’est le club de votre vie ?

Nisa Saveljic : Il y a aussi le Partizan de Belgrade, où j’ai été champion à deux fois, j’ai gagné une Coupe de Yougoslavie, ce qui m’a permis de signer dans un grand club comme les Girondins de Bordeaux. Je n’oublie pas Sochaux, Bastia, tous les clubs où j’ai joué ont une importance à mes yeux, mais Bordeaux, ça reste quand même spécial pour moi. Avec ce titre en 1999 évidemment. Jouer à Lescure, dans un club avec une telle Histoire, forcément, Bordeaux reste le club de mon cœur. Clairement.

Près de 25 ans après votre départ, vous êtes toujours aussi attaché à cette ville, à ce club ?

J’ai gardé un vrai lien avec les supporters malgré la situation difficile. J’étais proche du maire Alain Juppé, mon fils est né à Bordeaux, ma fille y a vécu avec moi, beaucoup de choses me relient à cette ville et ce club. Sans même parler du titre de champion. Bordeaux, c’est quelque chose de vraiment particulier, y compris dans l’Histoire du football français. Et j’appartiens un tout petit peu à cette Histoire, j’en suis très fier. Je vois la reconnaissance des supporters quand je reviens à Bordeaux, ils se souviennent de moi, ça me touche beaucoup. Ça me manque de ne pas être plus souvent là-bas, mais je me suis investi à Martigues (il est coactionnaire du FC Martigues en L2) et j’ai mon académie aux États-Unis (Breakers FC, à Monterrey, en Californie). Je ne peux pas revenir autant que je voudrais.

"Les choses que j’ai à dire, je les dis en face. Gérard Lopez, je n’ai malheureusement pas eu l’occasion de le rencontrer"

Votre plus grand moment à Bordeaux, c’est ce titre en 1999 ?

Exactement. On avait une génération incroyable : Michel Pavon, François Grenet, Alicarte, Afanou, Jemmali, Laslandes, Wiltord, Micoud, Diabaté, Ramé, Diawara... C’est inoubliable. Au niveau du jeu, ce n’était pas fermé. On était solide, mais très efficace. Ça reste un titre particulier, y compris pour le club. Et pour les supporters. On avait un rapport avec le public que je retrouve un peu aujourd’hui quand je vais au rugby. Avant, ça ne m’intéressait pas trop, mais les valeurs et surtout l’ambiance là-bas me parlent. Quand je vais voir l’UBB à Lescure, je sens quelque chose que j’ai connu. Ça me rappelle quand j’étais aux Girondins.

Parfois, vous allez même à Lescure pour y jouer…

(Il rit.) Ah oui, pour les 100 ans du stade l’année dernière. C’était exceptionnel !

On vous sent viscéralement attaché aux Girondins. Ça doit vous faire d’autant plus mal au cœur de les voir dans cet état…

Moi, les choses que j’ai à dire, je les dis en face. Gérard Lopez, je n’ai malheureusement pas eu l’occasion de le rencontrer. Peut-être qu’il fait ce qu’il peut, mais en attendant, mon club coule. 100 millions de dettes ! Vous imaginez ? Comment on peut rester au club dans ces conditions ? Personne n’a le droit de se mettre au-dessus du club, pas même les dirigeants ni les supporters d’ailleurs. Mais eux, heureusement qu’ils restent derrière les Girondins, et je les remercie d’être encore là. Mais 100 millions de dettes. Comment expliquer cela ? C’est facile de dépenser de l’argent dans le foot. Certains, ils mettent l’argent, ils pensent qu’ils connaissent tout, ils pensent que ça suffit. Mais le foot, ce n’est pas la NBA, ce n’est pas le baseball. Tu ne peux pas gagner de l’argent juste en mettant de l’argent sur un compte. Si tu crois que tu vas gagner de l’argent tout de suite dans le foot, oublie !

"Ceux qui ont fait du mal aux Girondins, qu’ils se mettent la tête dans le trou. Il faut assumer ses responsabilités"

 

Apparemment, cela fait quelques années que c’est une notion qui dépasse les décideurs girondins…

Ce que je viens de dire, ça concerne les groupes qui sont venus travailler ces dernières années aux Girondins : King Street et les autres, ils ont fait n’importe quoi. Avec M6, quand même, ça marchait bien. Monsieur De Tavernost, Jean-Louis Triaud, Charles Camporo, ce sont des gens qui connaissent le football. Mais après, c’est un désastre ! À chaque fois, ils sont venus pour du court terme. Je l’impression qu’il y en a qui profitent et qu’après, ils se cassent. C’est facile de mettre la cravate, de faire le beau. Si ça m’arrivait de détruire autant un club, j’irais me cacher dans un trou. Comme l’autruche. Ceux qui ont fait du mal aux Girondins, qu’ils se mettent la tête dans le trou. Il faut assumer ses responsabilités, quand même ! Là, tout va bien : j’ai coulé le club, mais je vais à Tahiti, à Saint-Barth, pendant que le club et les supporters sont à terre. Il faut une justice !

Vous avez une solution ?

Pour moi, il faudrait ficher les gens qui ont fait du mal à des clubs. Tu as coulé un club, t’es fiché, tu ne peux plus être dans le football. Tu vas vendre des glaces sur la plage, tu fais ce que tu veux, mais plus de football. Sinon, c’est trop facile !

"C’est facile de dépenser avec la carte bleue des autres ! "

 

Pourquoi êtes-vous si remonté ?

Les Girondins, pour moi, c’est beaucoup d’émotion. Bordeaux, c’est très particulier. Quand tu arrives avec arrogance, sans prendre des gens qui connaissent le club, des gens de Bordeaux ou de Gironde, d’anciens joueurs comme Laslandes, Micoud, Dugarry, Alain Giresse, c’est désastreux. Ils croient qu’ils connaissent, mais en réalité, ils coulent le club. Tous. Ils vont dire que je les accuse. Bah oui, je les accuse. Moi, je suis responsable pour le FC Martigues. Quand je vais là-bas, je ne dors pas dans un cinq étoiles à 200€ la nuit, je prends une chambre à l’Ibis. C’est petit, mais j’économise l’argent parce que le club en a besoin.

C’est facile de dépenser avec la carte bleue des autres ! Les gens qui viennent ici, ils touchent un peu d’argent, tout va bien, mais ils s’en foutent du club. Je suis tellement triste pour tous les salariés qui ont passé des années aux Girondins, les supporters… Le problème, c’est que les gens qui mettent l’argent ne pensent qu’à eux. Mais dans un club, toutes les pièces sont importantes : recrutement des jeunes, médias, joueurs…

Vous n’en voulez pas un peu à la DNCG qui a signé la descente chute du club ?

Tout le monde critique la DNCG. Il ne faut pas. Heureusement qu’elle est là ! À Bordeaux, les gens ont fait n’importe quoi et ont coulé le club… Avec en plus une attitude qui n’est pas la bonne.

C’est-à-dire ?

Pour moi, les gens qui sont arrogants, ce sont ceux qui n’ont pas réussi dans la vie. C’est facile d’être prétentieux. Mais ça veut dire quelque chose. Si tu parles avec Cristiano Ronaldo, il est cool. Messi, il est cool. David Beckham, il est cool. Zizou, pareil. Si tu crées une ambiance plus saine au club, ça va mieux marcher. Tu prends un gars comme Christophe (Dugarry), très intelligent, avec un cœur gros comme ça, ou bien Bixente Lizarazu, Laslandes, François Grenet, moi. Si on nous demande quelque chose, on ne va pas couler le club. À Martigues, je me suis entouré de gens qui connaissent le foot mieux que moi. Je n’ai pas de problème d’ego. Notre objectif, c’est de réussir tous ensemble. Personne ne doit se mettre au-dessus des Girondins, ça, ce n’est pas possible pour moi.

"Quand on voit que monsieur (Bernard) Arnault préfère reprendre le Paris FC plutôt que les Girondins de Bordeaux"

Aujourd’hui, il y a en tout cas beaucoup de clubs au-dessus des Girondins. Voir l’équipe en N2, ça vous fait mal ?

Je ne connais pas exactement les détails des finances du club. Mais je me dis que c’est mieux de descendre en National 2, comme Strasbourg à une époque pour tout reconstruire (le Racing était descendu une division encore plus bas). Comme Bordeaux, c’est un club avec une tradition dans le football français, et il est revenu au plus haut niveau. Mieux vaut nettoyer la maison.

Si vous avez un superbe jardin, mais qu’à l’intérieur, il y a des termites, que ça commence à être détruit partout, mieux vaut raser la maison et repartir de zéro. Il faut nettoyer tout le club, et que des gens qui aiment Bordeaux viennent, avec le soutien des supporters. Alors oui, les voir aussi loin de la Ligue 1, ça fait mal, mais les Girondins, ça existera toujours, c’est extraordinaire. On n’est que des petites pièces de l’Histoire de ce club mythique du foot mondial.

Mondial, carrément !

Aux États-Unis, les Girondins, tout le monde connaît. Bien évidemment. Bordeaux, c’est Zinédine Zidane, le titre de champion de France... Merci Google ! Tu tapes vite fait, tu as tout. Même si le football n’est pas encore suivi partout aux USA, les gens se renseignent, tu ne peux pas leur mentir. Dans la vie, il y a deux choses qu’on ne peut pas acheter : la santé et la tradition. Bordeaux, c’est la tradition.

Du coup, vous croyez que le club peut se redresser et faire « une Strasbourg » ?

Malgré tout ça, oui, je reste optimiste. Même si ça peut être plus grave à la fin de l’année, les Girondins continueront d’exister.

Vous êtes impliqué à Martigues avec des investisseurs américains. Pourquoi ne pas être venus à Bordeaux, vu votre attachement au club ?

Je n’ai pas autant d’argent, malheureusement. Mais recommencer à zéro, oui. Laslandes pareil, François Grenet pareil. Il n’y a pas que moi. Parce qu’on a l’amour du club. Mais dans des conditions comme cela, qui va prendre le club ? Parce que, monsieur Lopez, je suis désolé… (Il ricane.) 100 millions de dettes. Peut-être que je me trompe, je ne connais pas le chiffre exact, mais c’est ce qui se dit. C'est pour ça que je pense qu'en l'état, Bordeaux n'est pas reprenable, entre guillemets. « Reprenable », ce n'est pas français, mais vous avez compris. Quand on voit que monsieur (Bernard) Arnault préfère reprendre le Paris FC plutôt que les Girondins de Bordeaux… Je suis presque sûr qu’il s’est intéressé aux Girondins au départ, mais il ne peut pas couvrir les dettes des autres qui ont fait n’importe quoi pendant des années. Il a préféré un club plus stable. Ça se comprend… 

Arnaud Tulipier

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