Girondins de Bordeaux : Le témoignage poignant de Yannick Stopyra sur la fin du centre de formation

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Il est l’une des rares personnes à avoir côtoyé en tant que joueur, Michel Platini et Zinedine Zidane. Yannick Stopyra formé avec Patrick Battiston le duo représentant la formation girondine pendant 12 ans.
Comment ça va et que faites-vous aujourd’hui ?
Aujourd’hui, j'ai l'âge d'être en retraite, donc je suis retraité. Je regarde le monde de la maison, je suis certainement beaucoup moins actif qu'avant. Je regarde beaucoup moins de matchs aussi.
Vous pensez arrêter votre activité ou vous voulez vous challenger de nouveau ?
Ce n'est pas moi qui ai décidé d'arrêter, donc il y aura une autre suite, à moi de choisir. Je n'ai pas envie de partir trop loin à l'étranger, l'âge étant, j'ai eu quelques pistes avec l'étranger, mais je ne veux pas y aller. Il y a un manque de contact avec les gens, avec les joueurs, avec les clubs, rentrer dans les stades, ressentir cette ambiance, c'est violent du jour au lendemain de dire que c'est fini, et dans ma tête, ce n'est pas fini.
Je voulais revenir sur votre passif de joueurs, quand vous arrivez aux Girondins en 1988, comment se font les contacts pour votre venue ? Qu’est-ce qui vous attire à Bordeaux ?
En fait, c'est le club où je voulais venir, parce que, pour moi c'était le meilleur club de France. Quand j'étais à Sochaux, j'ai été contacté pour venir, et puis il y a eu des négociations. Bernard Lacombe était en fin de contrat, il a renégocié, donc je n'ai pas pu venir. Je venais si Bernard Lacombe ne resigne pas.
Quand il a prolongé, on m'a annoncé que je ne viendrais pas aux Girondins. J'étais déçu, mais c'était la continuité. J'ai fait le Stade Rennais, j'ai fait Toulouse, et puis après, Bordeaux m'a recontacté. J'ai annoncé au club avant la fin de saison que je quitterais le TFC pour un club, et ce sont les Girondins de Bordeaux.
Chaque fois que je jouais contre eux, j'ai été transcendé. Je me rappelle, une fois, j'étais remplaçant avec Sochaux (saison 1979/1980), on perdait 1-0. L'entraîneur (Jean Fauvergue), à 20 minutes de la fin, me dit « tu rentres » je mets 3 buts au Parc Lescure. Donc, ça a commencé là. Sentir avoir des vibrations dans ce stade, c'était peut-être le club le plus performant en France.
"La différence avec aujourd'hui, c'est que Claude Bez disait les choses en face"
Vous faites une saison aux Girondins. Pourquoi n'êtes-vous pas resté plus longtemps ?
Ça a été une saison de transition. Aimé Jacquet n'a pas été gardé. Il y a eu pas mal de joueurs qui sont arrivés. J'ai été convoqué par le président Bez qui m'a dit « saison pas assez bonne, tu ne fais plus partie des Girondins de Bordeaux », alors qu'il me restait deux ans. J'ai dit « ok », je suis parti et j'ai eu le bonheur de jouer avec Zidane à Cannes.
@iconsport Yannick STOPYRA - 26.08.1988 - Bordeaux / Auxerre
C'était quoi la relation avec Claude Bez ? Est-ce qu'il y a eu quelque chose de cassé quand il vous a dit ça ?
Non, la différence avec aujourd'hui, c'est que Claude Bez disait les choses en face. Il m'a appelé, il me l'a dit. J'assume la saison, je n'étais pas plus mauvais qu’un autre, mais je n'étais pas assez efficace par rapport à ce qu'on attendait de moi. Donc, il me l'a dit, c'était clair, c'était net. La différence avec les dirigeants d'aujourd'hui, notamment ceux qui sont partis, quand vous apprenez par les réseaux sociaux qu'il n'y aura plus de centre de formation, que les pros s'arrêtent. Le directeur général n'est même pas venu me le dire. Donc voilà, la différence, elle est là.
J'ai lu que c'était Aimé Jacquet qui vous avait donné envie de travailler dans la formation. Est-ce que c'est vrai ?
Quand je suis arrivé à Sochaux, j'avais 15 ans, à 16 ans, j'ai joué en pro, j'ai connu que les pros, et puis Aimé Jacquet au moment de passer mes diplômes, il était juge au niveau des diplômes, il me dit « Yannick, qu'est-ce que tu veux faire ? » Je lui ai dit, « moi, entraîneur chez les pros. »
En fait, je ne connaissais que ça, je ne pouvais pas faire kiné, je ne pouvais pas faire docteur. Il m'a dit, est-ce que tu es fait pour ça ? Et là, il m'a sauvé, parce qu'en fait, il y a une très grosse différence entre gérer des jeunes et gérer des pros, et j'ai pris beaucoup de plaisir à gérer justement les jeunes, et à découvrir des talents, donc ça m'a plu, et merci Aimé, parce que je crois que je me serais planté.
Vous revenez aux Girondins de Bordeaux en 2012, qu'est-ce qui vous a fait revenir ?
Moi, ma famille, ce n’était pas la fédération, ma famille, c'était le club. Que ce soit un club amateur quand j'étais gamin en Bretagne, à Redon, ou les clubs pros, Sochaux, Rennes, Toulouse, Bordeaux, Cannes, Metz, c'était ma famille, c'était les clubs, l'organisation.
Il y a le duo avec Patrick Battiston. Quelle était la relation que vous aviez avec lui ?
C'est quelqu'un d'exceptionnel. Il a une telle connaissance du football et un tel respect pour les gens. C’est quelqu'un d'exceptionnel Patrick. Quand j'ai postulé, on s'est rencontrés, on se connaissait en tant que joueurs, on n'était pas amis. J'ai appris à le connaître, c’est quelqu'un de bien. Patrick faisait énormément confiance. On lui disait, on est sur un joueur, on rencontrait le joueur, et on disait, vas-y, on fonce. C'était bien. Il y avait une bonne entente. Il a un regard qui est très fort, avant-gardiste. Il ressent les choses.
“Koundé, au bout d'un an, on a dit, « waouh », il faut vite y aller”
Comment faire fonctionner un centre de formation pour qu'il soit performant ?
Déjà, quand vous voyez un joueur, il ne faut pas le voir à 12, 13, 14 ans. Il faut essayer de se projeter, essayer de voir ses défauts, ses qualités. Qu’est-ce qui pourrait l’empêcher de progresser ? Son milieu familial, l'entourage, il y a beaucoup de choses.
Le dossier scolaire aussi, est-ce que ça ne va pas le freiner ? Ça, c'est important. Après, il faut avoir une connaissance un petit peu de la région. Mais aussi, on ne peut pas trouver tous les joueurs dans la même ville. Le plus gros réservoir du monde, vous savez où c'est ? C'est le Brésil, c'est São Paulo.
Le numéro deux, c'est la région parisienne. Vous êtes obligés d'être dans la région parisienne. São Paulo, peut-être pas, mais en région parisienne, on est obligé. Et là, c'est de prendre les joueurs qu'on ne trouve pas sur la région. Donc localement, on essaye de faire un gros recrutement d'abord sur la ville. Ensuite, on fait départemental, la ligue, ça s'étend. Et puis on essaie d'aller un peu plus loin, etc.
Comment on gère les joueurs une fois recrutés, avec les parents et les aléas ?
Quand vous vivez avec des gamins, vous voyez plein de choses que même les parents ne voient pas. Et puis ils se lâchent quand ils ne sont pas en famille. Les parents prennent leur fils, pas tous, mais beaucoup le prennent pour Mbappé. « Mon fils, c'est ça, il va sortir... » Non, ça ne se passe pas comme ça. Déjà, on avait instauré quelque chose.
Par exemple, il y a le château au Haillan. C'est danger. Parce que si vous commencez à faire venir le meilleur joueur du district, le meilleur joueur de Bordeaux, le meilleur joueur de la Ligue, et vous lui faites visiter le château et chez les pros.
Déjà, vous le mettez dans une condition en pensant qu'il va réussir, que c'est un pro, sachant que Bordeaux, c'est réputé pour être cool. C'est bon vivre. Le château, il y a de belles installations, etc. Alors qu'il y a d'autres clubs où ils jouent plus sur l'envie de sortir. Et moi, ce que je disais, c'est qu'en fait, on faisait visiter le centre en disant, tu es ici, si tu veux aller au château un jour, va la chercher.
Jules Koundé, quand il a signé chez nous, il a signé une licence en lui disant, tu n’as pas encore le contrat aspirant, va le chercher. Au bout d'un an, on a dit, « waouh », il faut vite y aller. Et ça, c'est important de jouer avec ça.
Et pour réussir, je pense qu'il faut avoir une blessure. Quand je dis une blessure, ce n’est pas physique, c'est l'envie de quelque chose. Tu veux réussir, vas la chercher. Mais comment vas-tu la chercher ? Parce que tu veux prouver peut-être à ta famille que tu vas réussir. Tu as galéré, tes parents galèrent parce que ce n’est pas facile, la vie n'est pas facile. Toi, tu vas montrer. Et je pense que c'est ça qu'il faut essayer de rechercher.
Koundé son sérieux, son travail, ce sont des choses qui ressortent au FC Barcelone. On voyait déjà ça à l’époque ?
Oui, plein de choses, des détails. Jules, à un moment donné, il s'entraînait avec les pros. Il avait un examen, il devait étudier. Le professeur devait venir pour rattraper le cours qu'il n'avait pas suivi puisqu'il s'entraînait avec les pros. On lui a dit, écoute, tu vas te reposer. Puisque tu as eu entraînement, tu ne pourras pas. Il a dit non, je vais y aller. Jules, il avait envie de réussir.
Jules, on va te donner un contrat, aspirant ou stagiaire. « Ok. Je signe où ? » Attends, on va appeler tes parents. On va t'expliquer. Lui, non. Lui, ce qu'il voulait, c'est dire « je signe, je signe, c'est bon. »
"On ne peut pas travailler à Miami comme on travaille à Bordeaux. Il y a des mentalités qu'il faut respecter"
Vous avez vécu plusieurs changements de propriétaires aux Girondins, notamment les Américains dans un premier temps. Comment était le climat ?
C’était compliqué dans le relationnel. Sportivement, on ne peut pas travailler à Miami comme on travaille à Bordeaux. On ne peut pas travailler à Marseille comme on travaille au Paris-Saint-Germain. Il y a des mentalités qu'il faut respecter. Après, il y a une distance. Mais avec la direction suivante, il y avait aussi une distance. À vivre, je vous assure, ça a été très douloureux.
Est-ce que c'était compliqué de travailler avec Gérard Lopez ?
Travailler avec lui ? La première fois que je l'ai vu, je lui ai dit bienvenue chez vous. Il est arrivé au centre. Je ne lui ai jamais reparlé.
Il n’y a pas eu….
Ah non, jamais.
"C'était deux clubs différents"
C’était un échange avec ses relais, notamment le directeur sportif Admar Lopes ?
Oui, Admar Lopes, un peu plus. Je vous donne un exemple. Moi, je travaillais dans le recrutement. Quand j'apprends que dans un tournoi international, notamment de Montaigu, alors que je suis dans la tribune, à côté de moi, il y a des recruteurs des Girondins de Bordeaux, d' Admar, que je ne connais pas. Je ne sais même pas qu'ils sont là. Eux, ils savent que je suis là. Je ne les connaissais même pas. Je ne les ai jamais vus. Et on travaille pour la même maison ? C'est compliqué. Il y a un problème humain déjà, relationnel.
Les recruteurs de l’effectif professionnel, quand ils faisaient une réunion. Ils ne pouvaient pas appeler les recruteurs des jeunes du centre de formation. Nous, pour écouter, de façon à ce qu'on aille dans le même sens. Que l’on recrute des joueurs que les pros attendaient. Imaginons que nous, on décide pour certains de ne prendre que des petits, et eux, ils disent qu'on ne veut que des grands. On se plante là. C'est deux clubs différents.
"Il a croisé le directeur général qui n'a même pas eu le cran de venir jusqu'au centre pour nous voir"
Pourtant, le centre de formation a sauvé le club à plusieurs reprises.
Il y a des chiffres. Il y a un institut qui s'appelle le CIES. Ils font des statistiques sur les joueurs, mais aussi sur les centres de formation et sur l'argent qui a été rapporté. Simplement, en dix ans, l'apport, c'est 135 millions. Ensuite, sur les cinq dernières années, c'était 85 millions. C'est le centre, les indemnités de formation... Alors, pourquoi je dis ça ?
Quand on recevait les parents, il fallait montrer que le centre était bien. On se battait contre Monaco, on se battait contre Paris, on se battait contre Nantes, contre Rennes, des gros clubs quand même. Patrick venait, voyait les parents. Il y avait des travaux à faire. On ne l'a jamais fait. Moi, j'ai vu une ou deux fois des meubles qui étaient bien abîmés.
On essayait de tout cacher. Alors, à la fin, je ne vous en parle même pas. La dernière année, avant qu'on parte, c'était compliqué, mais on s'est toujours battu pour le club. On n'a jamais rien demandé. On jouait sur quoi ? Sur l'amitié, sur la sympathie, parce qu'on n'avait que ça.
"On a vu des enfants pleurer. On a vu des parents pleurer"
Il y a eu notamment l’anecdote du manque de papier toilette au centre.
Il n’y en avait plus. On s'est débrouillés comme on a pu. On en a trouvé, ça s’est arrangé. Mais, c'est révélateur.
Et lors de la fermeture du centre de formation ? Vous avez eu des contacts avec la direction ?
Non. Une anecdote, c'est que Patrick Battiston repousse la venue des joueurs cet été. On décale d'une semaine en disant qu'on va retarder pour être sûrs. Parce que si les pros arrêtent, comment ça va se passer ? On ne savait pas.
Et puis, Patrick décide de faire une visio avec tous les parents, des 16 ans jusqu'aux 18-19 ans. On décide de faire la visio, le soir vers 18h. Et dans l'après-midi, Patrick a un écho des réseaux sociaux, comme quoi, c'est fini. Il a croisé le directeur général qui n'a même pas eu le cran de venir jusqu'au centre pour nous voir. On l'a su par les réseaux sociaux. C'est surtout ça qui fait mal.
On peut comprendre qu’une société va mal. On le savait. Simplement, il y avait besoin qu'on nous explique qu'on nous dise. Et nous, on aurait peut-être fait d'autres choses. Ça n'a pas été fait. Ils savaient que c'était fini, et nous, on n'était pas au courant. On a vu des enfants pleurer. On a vu des parents pleurer. Il y en a qui n'ont pas trouvé d'école. Donc, ça a été difficile.
Nathan Hanini
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