Francis Gillot : "Il ne faut pas confondre grand club et grande équipe"

03/03 - 07:30 | Il y a 6 ans
Francis Gillot : "Il ne faut pas confondre grand club et grande équipe"

© Iconsport

Francis Gillot est le dernier entraîneur des Girondins de Bordeaux à avoir été au terme de son contrat avec le club (2011-2014). Il est aussi le dernier coach à avoir offert un titre aux supporters en 2013 avec une Coupe de France remportée face à Évian. Il est rare dans les médias. Nous avons souhaité échanger avec lui sur le métier d’entraîneur, son style directif et son expérience des Girondins. Entretien direct avec Francis Gillot.

Francis, comment allez-vous depuis votre expérience auxerroise ?

J’ai essayé de travailler et d’avoir des opportunités quand il y avait des entraîneurs qui n’étaient pas gardés, et puis je me suis rendu compte que je n’avais pas de suivi dans ce que je voulais faire. En gros qu’on ne voulait plus que j’entraîne. Depuis que je suis sorti de Bordeaux, je n’ai pas eu un club en France pour me relancer. Je suis ouvert, mais je n’ai pas d’opportunité. Je n’ai plus envie d’aller en Ligue 2, j’ai fait l’erreur d’aller à Auxerre (NDLR en 2017), car je n’avais pas le choix et j’avais envie de retravailler. Nous nous sommes séparés à l’amiable. À l’étranger, c’est compliqué de partir tout seul et de laisser sa famille. Je n’ai pas privilégié cette voie-là, alors que j’aurais pu y retourner.

"FRANC ET DIRECT, C'EST MA FAÇON DE FAIRE" 

Vous avez 15 ans d’expérience dans le management d’équipe, avec un style directif que ce soit avec vos joueurs ou dans les échanges avec les médias, est-ce lié à votre personnalité ?

C’est mon style. Je réponds aux questions avec franchise. J’aurais pu faire des réponses toutes faites et plaire à certains journalistes qui s’attendaient à des réponses. Ce n’était pas le but. J’étais franc et direct, c’est ma façon de faire.

Vous êtes le dernier entraîneur des Girondins de Bordeaux à avoir été au bout de son contrat, et le dernier à avoir gagné un titre avec Bordeaux. Qu'est-ce que cela vous inspire ?

Ça remet les choses à leur place, les deux premières années le club était content de mes services. J’ai prolongé. La dernière année, avec moins de moyens on a fini 7e. Pourtant, on avait l’impression qu’on était les plus mauvais du monde. On en a pris pleine la tête. On s’aperçoit aujourd’hui que 7e, ils aimeraient bien y être, alors que c’est ma plus mauvaise année avec Bordeaux. C’est une sorte de fierté, ça remet les choses à leur place, en se disant que ce que j’ai fait à Bordeaux, c’est très très bien.

panoramic_vibor31052013_972.jpg (0 b)
Finale de la Coupe de France, 31 mai 2013  crédit : Panoramic - WebGirondins

Vous suivez toujours les résultats de Bordeaux ?

Oui, bien sûr. J’ai ma maison là-bas, j’y retourne de temps en temps.

 

"LES SUPPORTERS CE SONT LE BAROMETRE D'UN CLUB"

Nous avons le sentiment aussi avec G.Poyet qui avait son franc-parler, que le management directif ne soit pas récompensé que ce soit face à la presse ou dans le club. Qu’en dites-vous ?

Je m’en suis rendu compte. C’est le monde d’aujourd’hui. Pour les entraîneurs, c’est de plus en plus compliqué. Quand ils sont trop gentils, on leur marche dessus. Par exemple, j’ai bien connu Eric Bedouet comme préparateur physique c’est quelqu’un de très gentil. À ce poste-là, il n’a pas changé de caractère et il a dû continuer à être très gentil. Quand on voit ce qu’il se passe aujourd’hui on se dit que ce n’était pas la bonne solution. Et, quand on est trop méchant, ça ne va pas non plus. Aujourd’hui pour coacher une équipe ça devient de plus en plus compliqué quand on voit les mentalités de la nouvelle génération. Il faut trouver la bonne formule, et ne pas se laisser marcher dessus, sans être trop direct avec les joueurs. Il faut bien doser. Il n’y en a pas beaucoup qui durent dans le métier quand ils ne sont pas naturels dans leur posture.

Pourtant, les entraîneurs qui font preuve de franc-parler et de directivité sont très appréciés des supporters. C’était votre cas, et celui de G. Poyet par exemple.

C’est vrai qu’avec les supporters ça s’est très très bien passé pour moi aussi. J’étais content, car ce sont eux le baromètre d’un club. Que les supporters soient derrière moi, cela prouve que l’on a pas fait que des matchs pourris comme certains l’ont dit. Ils ont retrouvé des choses intéressantes. C’est une fierté d’avoir les supporters avec moi, et je leur en serais toujours reconnaissant. C’est ce que cherche l'entraîneur, être aimé du public et des gens qui viennent voir les matchs de football. On doit faire par rapport aux moyens. On a toujours essayé de jouer à deux attaquants, et d’être offensif. Après quand on perd tous les ans les bons joueurs, et qu’on ne peut pas les remplacer par des joueurs de même valeur… Par exemple, Benoît Trémoulinas quand il est parti, j’avais un peu les glandes, car c’était le deuxième meilleur passeur du club.  Il n’a pas été remplacé par le même profil. Si on avait continué à garder les bons joueurs et à améliorer l’équipe, on aurait pu rester en haut du tableau plus longtemps.

Vous déteniez aussi un record jusqu’à cette année, celui d’être le dernier entraîneur à avoir gagné un match de poule en Ligue Europa.

On avait fait un 8e de finale cette année-là contre Benfica. Le match retour on a joué pratiquement à l’extérieur, car il y avait quasiment 20 000 Portugais à Chaban Delmas. On a perdu contre le finaliste, d’un rien. Cette année-là on gagne la Coupe de France et on termine 7e. On a joué plus de 60 matchs dans la saison. Pourtant dans la presse, on s’est fait déglinguer. Je me souviens des titres le matin de la finale de la Coupe de France, j’avais eu les glandes en lisant les journaux. On avait un point de vue complètement différent entre ce qu’on vivait de l’intérieur dans le club avec les joueurs, et ce qui était dans la presse. Les médias donnaient l’impression d’être contre nous. Peut-être qu’ils réglaient des comptes contre moi. Je ne parle pas de la presse écrite. J’avais quelques ennemis à Canal.

Pour quelles raisons ?

Quand on dit des choses, et qu’on répond à ces gens-là, ils se vexent. Évidemment, ils ont le micro en permanence, contrairement à nous, et ils vous démolissent. C’est comme ça.
 

"BORDEAUX N'EST PLUS UNE GRANDE ÉQUIPE, MAIS RESTE UN GRAND CLUB"

Quelle est la bonne formule pour un entraîneur ?

C’est d’avoir un président qui est pratiquement ami avec vous. Ça s‘est fait à Dijon avec Dall’Oglio par exemple, même si les mauvais résultats lui ont quand même coûté sa place. Le duo président entraîneur doit être très fort. Aujourd’hui dans beaucoup de clubs, le président est une personne qui a des intérêts financiers, avec les nouvelles formules comme à Lille, Marseille, ou encore Bordeaux. C’est compliqué d’avoir cette humanité entre le président et l'entraîneur. Quand ça ne marche plus, entre l’intérêt financier pour l’un, et l’intérêt sportif pour l’autre, on est plus sur la même longueur d’onde. Automatiquement ça se finit mal.

Et le directeur sportif ?

C’est la même chose. Il faut beaucoup d’affinité avec cette personne. Je n'avais pas de directeur sportif à l’époque, je traitais directement avec le président. Le financier prenait toujours le pas sur le sportif. Normalement c’est un trio directeur sportif - entraîneur - président. Moi, je traitais directement avec le président. Parfois, il avait ce côté financier avec M6 pour ne pas trop dépenser au détriment de la qualité de l’équipe. En France, on n’est pas manager comme en Angleterre, et l’entraîneur ne décide pas du recrutement. 

La valse des entraîneurs à Bordeaux, comment vous l’expliquez ?

En fait, Bordeaux, ça a toujours été un très grand club, mais il n’y a plus de grande équipe. Il ne faut pas confondre grand club et grande équipe. À l’époque quand Bordeaux gagnait des titres, il y avait de grands joueurs.  Depuis quelques années Bordeaux n’est plus dans la même catégorie. Quand tu commences le championnat, tu joues la deuxième place, ce n’est plus pareil que jouer le titre. Tu as Lyon qui est bien plus costaud que toi. Ce n'est plus une grande équipe, mais ça reste toujours un grand club. Il y a une attente des gens, des supporters, des journalistes qui ne comprennent pas pourquoi Bordeaux n’est pas présent dans les premières places comme cela s’est fait il y a des années. Il y a cette amertume et des regrets des supporters bordelais qui sont des connaisseurs qui ne retrouvent plus de grosses équipes. Les entraîneurs font avec les joueurs qu’ils ont sur la main.

"JULES KOUNDÉ A UN GRAND POTENTIEL"

 

Le duo Ricardo/Bedouet c’était une erreur ?

Ricardo ne pensait pas être interdit de coacher l’équipe. Je pense qu’il ne savait qu’il allait rester sur le banc sans bouger. Je ne sais pas. S’il le savait, je ne serai pas venu à sa place. Il faut parler en direct aux joueurs sinon il y a une déperdition dans la transmission du message.

Le confort bordelais, c’est toujours une réalité selon vous ?

Il ne faut pas tout mettre dessus. C’est la valeur de l’équipe. Le club n’a plus le standing pour acheter des joueurs comme Lyon, Paris ou Marseille. Les salaires deux ou trois plus élevés à Marseille et Lyon qu’à Bordeaux qui ne peut plus suivre la cadence. Donc, Bordeaux prend des joueurs par rapport à son budget.

Quels sont les joueurs de l’effectif actuel qui vous séduisent ?

Benoît Costil, il a été critiqué, mais il va mieux. Il a trouvé sa place et il fait ses matchs. Jules Koundé me plaît bien. Il a vite trouvé son poste. C’est un joueur qui a un grand potentiel. C’est vraiment un joueur qui m’aurait plu, car il est régulier et dans l’esprit que j’aime. Il a une grosse qualité, et je pense qu’il va faire une grosse carrière s’il continue avec cet état d’esprit.

 

"LES SUPPORTERS SONT DES GENS QUI CONNAISSENT LE FOOT"

Qu’est ce que vous retenez de votre expérience d’entraîneur ?

J’ai un bon CV, j’ai fait une belle carrière. Je ne sais pas si les présidents qui cherchent des entraîneurs regardent mon CV. J’ai plus de 45 matchs de Coupe d'Europe, j’ai gagné une Coupe de France. La plupart du temps quand il fallait sauver une équipe de la relégation je l’ai sauvé. Quand il fallait être européen, je l’ai été. J’ai toujours répondu présent. Je suis content de ce que j’ai fait. Mais je pense que ça n’a pas été reconnu à sa juste valeur. Ce qui m’a étonné c’est qu’en sortant de Bordeaux je n’ai eu aucun club en France, après 350 matchs j’étais étonné. J’ai fait un 8e de finale de Coupe d’Europe avec Lens et avec Bordeaux. J’ai toujours pensé à l’intérêt du club. Par exemple, la dernière année à Bordeaux alors que nous avions 5 matchs en 15 jours, avec deux matchs de Coupe d’Europe et que nous étions mal classés, j’ai privilégié le championnat. Alors que beaucoup d’entraîneurs auraient fait l’inverse pour se faire mousser. Je pensais club. Là les médias se sont déchaînés. Nous n’étions pas bien en championnat, j’ai préféré assurer le championnat, car je voulais sauver le club de la relégation plutôt que de me faire mousser en Coupe d’Europe.

Un mot pour les supporters des Girondins ?

Je ne les oublie pas. C’est franchement ce qui m’a fait plaisir dans ma carrière. À Lens lors de mes trois premières années d’entraîneur, j’étais très bien vu par les supporters, car ils retrouvaient leur compte. Par rapport au Bordelais cela a été la même chose. C’est une reconnaissance. Les supporters ce sont des gens qui connaissent le foot. C’est pour moi le principal. J’aurai été sifflé par les supporters lensois ou bordelais ça m’aurait embêté. Cela a été un bon point cette relation avec les fans. Ça me va droit au coeur.

Francis Gillot a dirigé 148 matchs avec les Girondins de Bordeaux de 2011 à 2014. Il a remporté la Coupe de France en 2013. Il a disputé un 8e de finale de Ligue Europa. Il a été finaliste du trophée des Champions en 2013.

#Club