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Thomas Filhol (Sportune) : "M6 a une vraie volonté de vendre les Girondins de Bordeaux"
23/03 - 07:00 | Il y a 7 ans
© Iconsport
Alors que le rachat des Girondins de Bordeaux par des investisseurs américains se négocie, nous avons interrogé Thomas Filhol directeur de Sportune.fr, spécialiste du Sport Business, sur la vente du club. Entretien.
Thomas, M6 souhaite se séparer des Girondins de Bordeaux, comment l’expliquer ?
En effet, il y a un sentiment de lassitude de M6 après 20 ans. Ils ont acheté ce club à une époque où les chaines de télé étaient plus proches du football. Il y avait une volonté des chaînes de se promouvoir via le sport. Avec le temps, ils se sont rendus compte que cela devenait un investissement coûteux et qui n'était plus cohérent dans leur stratégie. Aujourd’hui M6 se développe plutôt par l’exploitation de nouveaux médias. Comme par exemple le rapprochement avec RTL. Il y a un sentiment de lassitude et de manque d’intérêt, et Bordeaux ne rapporte plus d’image pour M6. M6 ne diffuse plus les matchs de son équipe, Bordeaux n’est pas assez européen. D'ailleurs, M6 a perdu les droits de la Ligue Europa.
Pourquoi aujourd’hui les Girondins de Bordeaux intéressent les investisseurs ?
Il y a plusieurs stratégies pour les investisseurs, soit de générer de l’argent en valorisant l’effectif et les actifs joueurs en les achetant, en les faisant progresser et en retirant des deniers dessus. C’est une stratégie d’investissement. Puis il y en a une autre, c’est d’acheter de l’image, comme le fait le Qatar au PSG. Comme l’a fait L’Atlético Madrid avec le projet Wanda. L’exemple du Qatar est le plus cohérent. Pour Bordeaux, on parle d’investisseurs américains implantés dans le sport. Ces profils sont la pour développer un club en s’appuyant sur l’actif joueur et sur la "fanbase" (Ndlr: la base de supporters). C’est à l’image du projet McCourt. Il y a une base de fan importante qu’il faut exploiter au travers de la billetterie, au travers de produits dérivés etc … Le potentiel affectif est une vrai valeur marchande. Le projet est d’augmenter toutes les recettes.
A Bordeaux, l’environnement est très interessant. Le club est stable, c’est une ville internationalement connue. Ca joue aussi quand tu veux développer ton activité à l’étranger, surtout si c’est un projet ambitieux. Qui dit projet ambitieux, dit nécessaire orientation à l’international et vers la Chine, eldorado du développement. Il y a une nécessité de vendre la marque à l’international. Et le fait que Bordeaux soit une ville par le vin et d’autres atouts, connue, ca va forcément peser dans les négociations, car l’image est vendeuse.
"Le stade, c’est un élément important dans le développement du club"
Deux américains Joe DaGrosa et Philip Anschutz seraient intéressés pour reprendre le club ? Doit-on les prendre au sérieux ?
Ces profils se rapprochent du profil de McCourt à Marseille. C’est cohérent, ces investisseurs ont une expérience de l’univers du sport et de tout ce que tu peux en retirer. Pour l’instant ça fonctionne à Marseille, mais on a pas le recul nécessaire pour en juger. J’entends beaucoup parler de l’achat du stade, mais le stade n’appartient pas au club de Bordeaux. Ca sera un élément à part dans la négociation. Le problème c’est qu’il y a beaucoup de fantasme qui entoure ce genre de situation. Après, s'ils prennent possession du stade, c’est un élément important dans le développement du club.
Deux profils différents de Gérard Lopez à Lille … non ?
Gérard Lopez s’appuie sur des fonds multiples qui ne sont pas les siens. Si les investisseurs américains arrivent avec leurs derniers personnels, ce sera rassurant pour Bordeaux afin ne pas être lâché du jour au lendemain. Aujourd’hui, nous ne le savons pas. Il faut un actionnaire qui ai les reins solides, car Bordeaux génère du déficit chaque année (entre 5 et 15M€ par saison depuis 2010). Ca veut dire qu’il faut le combler, générer des recettes... Si tu as le stade c’est différent. Car avoir les coudés franche sur son stade c’est une part importante du business. C’est le sens du projet des investisseurs américains, à savoir que le sport c’est un spectacle. C’est ce que les supporters historiques comme les Ultras ont du mal à accepter. Ces personnes veulent des tribunes familliales, avec un concert à la mi-temps, des pompoms girls, que ce soit un évènement comme si tu allais au théâtre, au spectacle. Ca fonctionne très bien aux Etats-Unis, et ils cherchent à le reproduire en Europe et dans le football car c’est le sport le plus porteur. Si c’est un fond d’investissement, tu n’es pas à l’abri d’une erreur de casting, et ça tu ne peux pas le savoir avant. Quand l’erreur arrive après plusieurs saisons, tu l’absorbes, mais quand cela arrive dès la première saison c’est un catastrophe, car tu ne peux pas compenser les pertes par le sponsoring et la billetterie. A Bordeaux, la billetterie et le sponsoring ce n’est pas énorme. Souvenez vous, Bordeaux a galèré pour trouver des sponsors maillots. Après Kia il n’y avait plus personne. Aujourd’hui, Bordeaux a un sponsor pour les matchs à domicile, un pour l’extérieur. Quand tu multiplies les sponsors, ce n’est jamais très rassurant. Il faut le prendre en compte, car l'équilibre est fragile, et la notoriété du club insuffisante pour dégager des fortunes malgré des atouts à Bordeaux. Il faudra valoriser les actifs.
Si la 108e fortune mondiale reprend le club, les fans bordelais peuvent-ils imaginer avoir une équipe de rève ?
Je te calme tout de suite. Oublies la 108e fortune mondiale. Rennes a le propriétaire de foot le plus riche du monde. Les Pinault sont la 32e fortune mondiale. Que fait Rennes depuis des années ? Quelles sont les titres ? Ca ne veut rien dire. Tu peux avoir l’actionnaire le plus riche du monde, ça dépend ce qu’il veut en faire. Il est plus riche de Ryboloviev à Monaco, que McCourt à Marseille etc … Ce genre de détail, on y accorde trop d’importance. La question est : qu’est-ce qu’il va faire de son argent. Par exemple, les Pinault ne veulent pas dépenser plus qu’ils ne génèrent. Il faut aussi savoir investir l'argent intelligemment.
"C’est évident, c’est le rayonnement de la ville de Bordeaux qui les intéresse"
La marque Bordeaux peut-elle être associée aux Girondins ?
Une ville elle est toujours associée à son club. C’est évident, c’est le rayonnement de la ville de Bordeaux qui les intéresse, plus que le club des Girondins à proprement parler. Oui, il va falloir développer ça. Je ne sais pas si on peut parler de marque pour une ville. Ce qu’ils achètent c’est la notoriété en générale de la ville, plus que du club. La ou c’est cohérent, Bordeaux en Asie a une réputation énorme, et c’est très intéressant pour le développement à l’international. Depuis l'arrivée du Qatar au PSG, le développement de la LFP en ASIE a déjà commencé. Plus il sera vendu, plus le retour sera présent. D’autant plus qu’en Chine, Bordeaux est très connu.
A quoi s'attendre pour les supporters si M6 ne vend pas le club des Girondins de Bordeaux ?
Le club restera en l’état, Bordeaux ça ronronne, c’est le problème. Que ce soit en terme structurel ou sportif, ca ronronne. Bordeaux reste entre la 10 ou 5e place ce qui correspond aux moyens qui sont donnés. M6 a tirer tout ce qu’il pouvait tirer. Ils ont suffisamment d’expérience pour éviter les écueils qui font plonger, par contre ils n’ont pas envie de mettre les moyens pour franchir un cap supplémentaire, donc ca va continuer à ronronner. Le problème de Bordeaux, c’est qu’il n‘y a pas de stratégie cohérente. A l'inverse de Lyon qui a le projet le plus aboutit du football français avec un centre de formation ultra performant, des joueurs vendu à prix d’or, ils sont propriétaires de leur stade, ils ont une équipe féminine méga titré, et ils sont titrés en bourse.Tu sens que De Tavernost est arrivé au bout, même si il ne veut pas le revendre à n’importe qui, comme l’avait Seydoux à Lille qui a sauté sur la première occasion. D’ailleurs, Bordeaux a eu des propositions que le LOSC n’a pas eu. Aujourd’hui, il y a une vraie volonté de M6 de vendre, et c’est lié aussi au basculement des droits de la Ligue Europa qu’ils n’ont plus. Ils auront de moins en moins de foot.
Que souhaiter aux supporters des Girondins ?
Un actionnaire qui ai beaucoup d’argent, et qui l’utilise bien. Bordeaux, il y a un passé, c’est un club historique. Bordeaux doit être un club compétitif non pas pour le titre, mais pour disputer la Ligue des Champions. On peut souhaiter un projet cohérent avec quelqu’un qui a des billes personnelles. Car quand tu ne connais pas l’origine des fonds c’est dangereux. On peut souhaiter un projet à la marseillaises, ou à la monégasque.