Interview - A.Creuzé : "Maîtriser la langue du pays est essentiel pour se développer dans un nouveau club"

10/08 - 11:40 | Il y a 3 ans
Annabelle Creuzé a exercé aux Girondins de Bordeaux dans l’ombre pour mettre les joueurs étrangers dans les meilleures conditions possible. 
Interview - A.Creuzé : "Maîtriser la langue du pays est essentiel pour se développer dans un nouveau club"

© Iconsport

Forte de cette expérience d'interprète et de traductrice, elle a écrit un lexique bilingue, le Vocabulaire du football. Elle nous fait découvrir son rôle auprès des joueurs.

Bonjour Annabelle, comment arrive-t-on à un poste de traducteur aux Girondins de Bordeaux ?

C’est une longue histoire. C’est la combinaison de ce que j’ai fait dans ma vie et d’une rencontre. J’ai fait du sport toute ma vie, j’ai fait mes études et j’ai travaillé dans différents pays. En 2011, j’ai été contacté par Pierrot Labat pour être interprète pour un coach américain qui venait le voir et de là est née une très forte amitié entre nous.

J'ai traduit son livre en Anglais, je filmais ses entraînements techniques sur le terrain. On a fait pas mal de vidéos sur ces entraînements et c’est là où j’ai énormément appris sur le foot avec lui.

J’étais journaliste à l’époque, et quand j’ai entamé une nouvelle voie vers l’enseignement du français langues étrangères j’ai cumulé pas mal d'expériences. Alors, Pierrot m’a dit “Pourquoi tu ne postules pas aux Girondins”. La première fois, ma candidature a été refusée donc je suis parti en Tanzanie, j’ai bossé pour l’UBB et en 2016 j’ai postulé et c’est là que le club m’a engagé.

"Mon premier joueur était Mauro Arambarri"

J’ai été surpris que vous soyez en CDI aux Girondins.

Oui, en fait, j’ai commencé en 2016 mes premiers joueurs étaient Malcom  et Mauro Arambarri et ça c’est très bien passé donc j’ai eu de plus en plus de joueurs à former. Des pros de l’équipe masculine, féminine, j’avais aussi des jeunes du centre de formation. Dans le cadre de mon travail grâce à mes expériences de vie, sportive, la relation de confiance que j’avais avec les joueurs et ma facilité de communiquer, j’étais très sollicité pour les aider à gérer leur vie privée.

Les cours se passaient très bien, il voyait que j’étais à l'aise, que j’avais une bonne relation, j’ai fait pas mal de documents sportifs et des cours d’anglais au centre de formation. Cela s’est très bien passé ses 3 années, du coup j’ai signé un CDI en 2019 et là j’avais beaucoup plus de personnes. 

"Aider à s’intégrer dans leur vie pro et personnelle et les conduire à l’autonomie"

Votre rôle est assez large, pouvez-vous nous en dire plus ?

Oui, mon rôle est multicasquette. L’idée était de leur apprendre le français, les aider à s’intégrer dans leur vie pro et personnelle et les conduire à l’autonomie. De plus, je les préparais aux conférences et aux interviews, j’avais aussi des missions d’interprétariat et de traduction alors que ça, ce n’était pas ma formation.

J’avais plein de personnes que ce soit le staff, des personnes de l’administration, des jeunes du centre de formation. J’ai utilisé mon expérience personnelle et professionnelle donc pour moi c’était facile. Je suis parti de chez moi à 20 ans pour l’étranger, j’ai fait du sport à haut niveau et tout se mélangeait.

Comment vous est venue l’idée de ce livre ?

J’avais envie de partager tout ce travail de recherche, de compilation que j’ai mené depuis 4 ans. Dans mon travail de prof de français avec les joueurs, je travaillais tout un tas de termes spécifiques, pour tout ce qui était l’interprétariat en conférence de presse ou en traduction c’était d’autres termes.

Parfois, j’avais des questions plus médicales, plus sur le matériel donc en fait j’ai essayé de compiler tout ça pour réfléchir à des sous-catégories afin de classer tout ce lexique. Je me suis rendu compte qu’il y avait réellement un besoin pour trouver rapidement du vocabulaire pour les coachs, les joueurs, les préparateurs physiques et pleins de monde au sein du club.

"C’est essentiel pour se développer dans un nouveau club"

Il est disponible depuis longtemps ?

La version la plus aboutie est sortie en mars, et ensuite je l’actualise tout le temps grâce aux retours que je reçois notamment. Je corrige ce qui ne va pas et je tente à chaque fois de l’améliorer et de développer les langues.

Quels sont les bénéfices pour les joueurs de maîtriser la langue du pays ?

D’un point de vue personnel et sportif, ça leur apporte énormément. Sur le plan personnel, le joueur va avoir plus confiance en lui, il va s’intégrer plus rapidement. Avec les retours que j’ai eus, le fait de maîtriser la langue du pays leur permet d’être eux-mêmes, d’avoir sa personnalité.

Pour le point de vue sportif, le joueur est plus concentré et va pouvoir aider ses coéquipiers ce qui crée une cohésion de groupe entre eux. C’est essentiel pour se développer dans un nouveau club.

Est-ce qu’il y a l’équivalent de votre métier dans d’autres clubs ?

Je sais que j'étais la seule en CDI. Tous les autres travaillent en free-lance. Ce n’est pas bien valorisé du tout comme métier. On possède une relation privilégiée avec les joueurs, ça va bien au-delà des cours, on est vraiment là pour eux. 

Est-ce qu'ils sont à l’écoute ?

Oui. Je les ai tous trouvés très à l’écoute, respectueux, ponctuels. J’essaye d’avoir une méthode d’enseignement qui soit la plus ludique et la plus adaptée possible à ce qu’ils aiment. Je leur demandai s’ils avaient des membres de leur famille ou leur copine qui voulaient faire les cours avec nous.

Selon la nationalité des joueurs, certains apprennent-ils plus rapidement que d’autres ?

Pour moi, ça n’est pas la nationalité qui va faire la différence, mais c’est davantage la confiance en soi. C’est sur, il y a des langues qui sont plus proches du français que d’autres. Mais plus un joueur a confiance en lui et ne doute pas de ses capacités, plus il va progresser vite. 

"Les cours étaient obligatoires pour les joueurs"

Ils étaient obligés de suivre les cours ?

À Bordeaux, oui ils étaient obligés. Je ne suis jamais tombé sur un joueur récalcitrant ou qui voulait laisser tomber. Ce qui est important c’est de leur expliquer à quel point le français va leur être important à tout point de vue. Les cours sont organisés sous forme de jeu donc il n’y a pas trop la sensation de participer à un cours de langue. C’est hyper important de dire aussi aux joueurs ce que ça va apporter à leur famille ou à leur copine. Cela apporte énormément de sérénité aux joueurs. 

Pourtant, certains joueurs comme Samuel Kalu ne se sont jamais exprimés en français depuis leur arrivée aux Girondins.

Kalu est très timide, ça fait partie de sa personnalité. Toma Basic et Josh Maja sont très copains et font tous les deux beaucoup d’efforts pour apprendre la langue. J’essaye de faire des jeux ludiques et même de parler dans leur langue pour montrer que moi aussi je peux me tromper en prononciation, mais que ce n’est pas grave, ils sont là pour apprendre. La personnalité fait vraiment tout pour apprendre le plus vite possible. Il faut leur donner cette confiance dont ils ont besoin.
 

"J’ai du respect pour tous les sportifs de haut niveau pour tous les sacrifices au quotidien"

Vous avez beaucoup appris auprès d’eux ?

Oui, j’ai énormément appris, j’ai du respect pour tous les sportifs de haut niveau pour tous les sacrifices au quotidien qu’ils font. L’éloignement de la famille, des amis, de leur pays, c’est vraiment hyper dur comme mode de vie. Il faut qu’il trouve une certaine stabilité dans leur vie ce qui est très dur dans ce métier, car ils peuvent partir à tout moment. Ce n’est vraiment pas facile à gérer pour les familles et pour les joueurs. Il faut avoir un environnement très bienveillant.

Avez-vous une anecdote pour les supporters ?

J’ai énormément de très bons souvenirs, mais il y en a une qui m’a beaucoup servi pour la suite. C’était au tout début, un joueur m’avait dit au premier cours “je pense que je ne vais pas tenir 30 minutes” (NDLR Vukasin Jovanovic), puis on a fait tout le cours et au bout de 1h30 le cours s’est terminé. Il n’a pas vu le temps passer. Il était surpris que ce soit déjà terminé. 

J’ai plein d'autres souvenirs comme lorsque Sergi Palencia a fait sa première conférence en français. Tous les journalistes l’ont applaudi à la fin, où encore les joueuses brésiliennes qui avait une énorme énergie en cours. Je n’ai pas d’anecdote précise, mais lorsque j’entends les joueurs qui plaisantent en français et sont vraiment eux-mêmes, je suis hyper heureuse pour eux et c’est des très bons souvenirs pour moi.

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